Un cours d’histoire locale…

Si mes souvenirs sont exacts, cette histoire se passait en 1954;  j’étais alors en 9e année au couvent dans la classe qu’on appelait « l’Académie », qui regroupait les filles de la 8e à la 12e année. De temps à autre, notre professeur nous donnait une leçon qui variait entre  le cours de personnalité, d’hygiène ou de politesse. Parfois il arrivait qu’elle nous  entretienne plutôt de ce qu’on pourrait qualifier d’histoire locale. Cela dépendait de la saison, ou des évènements. Le terme « histoire locale » englobait une foule de choses. Il pouvait s’agir des différentes professions exercées dans la paroisse – remarquez que le terme « municipalité » n’était pas d’usage courant. Ce cours était parfois pratique, parfois  critique… j’en ai oublié des grands bouts!

Je me souviens surtout de la fois où elle nous avait demandé de dénombrer les hôtels et les garages dans la paroisse de Deschambault. Plusieurs parmi nous ne connaissions pas tous ces établissements… surtout que nous n’étions clientes ni des garages, ni des hôtels. En fait, notre professeur voulait faire ressortir une situation qu’elle déplorait. D’après elle, il y avait trop de garages; j’ignore encore pourquoi. Sans doute à cause des émanations d’essence, mais je n’en suis pas sûre. Chose certaine, du point de vue de la religieuse, il y avait beaucoup trop d’hôtels, ce qui encourageait les gens à consommer des boissons alcooliques. Il est vrai que c’était à l’époque des débuts du Cercle Lacordaire, qui prônait l’abstinence totale, mais les religieuses du couvent n’en faisaient pas partie, que je sache.

Une demoiselle Paré devant la façade du garage Mayrand (coll. privée Madeleine Genest).

Une demoiselle Paré devant la façade du Garage Mayrand (© coll. privée Madeleine Genest).

J’espère me souvenir de la nomenclature qui avait découlé de la recherche minutieuse dont cette leçon de choses – si on peut appeler ça ainsi – avait fait l’objet. Dans les années 50, les garages devaient faire des affaires d’or, si j’en juge par le nombre de ces commerces. En partant de Portneuf, il y avait le Garage Shell; je ne me souviens pas s’il y a eu un autre propriétaire avant l’arrivée de M. René Janelle. Tout près, il y avait un autre garage, dont le propriétaire était M. Solyme Paquin; ce garage est devenu par la suite le restaurant Pizza Pierre. À l’intersection de la route Proulx et de  la rue Johnson, il y avait encore un garage, le détaillant Fina, je ne me souviens pas qui en était le propriétaire au début. Au coin de la rue Saint-Joseph, à deux pas du Central, s’élevait le Garage Mayrand, une imposante bâtisse qui possédait deux logements à l’étage. Au moins deux graves accidents d’autos ont amené la démolition de presque la moitié de cet édifice. Pas loin de l’école du village, était situé le garage des Autobus Gauthier, qui  abrite maintenant la caserne des pompiers.

L'un des véhicules de la compagnie Autobus Gauthier (© coll. privée Madeleine Genest).

L’un des véhicules de la compagnie Autobus Gauthier (© coll. privée Madeleine Genest).

On longeait ensuite la route 2, qu’on appelle aujourd’hui le Chemin du Roy, jusqu’au garage de M. Jean-Paul Hamelin, lequel se spécialisait dans la réparation des voitures européennes. Un peu plus loin, au coin de la route Dussault, se retrouvaient, presque face à face, le Garage Boisvert, du côté nord et le Garage Chevalier, qui avoisinait l’hôtel Le Vieux Bardeau. Comme plusieurs garagistes à cette époque, M. Gérard Chevalier  vendait des voitures usagées et, pour occuper ses loisirs, il avait aussi un orchestre de musique de danse. Il n’était pas rare que les gens cumulent plusieurs emplois… si les diplômes étaient rares, les expériences de travail ne manquaient pas! Si je sais bien compter, nous avions donc 8 garages pour une population d’environ 1 500 habitants; et tout ça sur le « rang d’en bas ». Je ne me souviens pas s’il y en avait dans les 2e et 3e rangs. C’était quand même à l’époque où les rangs et le village formaient deux municipalités distinctes.

Je vous reviens prochainement avec la suite de mes travaux scolaires de 1954 : les hôtels!

© Madeleine Genest Bouillé, 16 mai 2016

N.B. Une amie me rappelle qu’il y avait aussi, à la sortie ouest du village, le garage de M. Maurice Julien (avant les propriétaires Martin et Maurice Faucher) et que le garage Fina  au coin de la route Proulx était tenu par M. Octave Beaupré. Merci Jacqueline C. pour ces précisions!

Garage Mayrand

Le Garage Mayrand (© coll. privée Madeleine Genest).

Du temps où les autos étaient des « chars »…

Le Dodge Crusader rouge 1954.

Le Dodge Crusader rouge 1954.

Mon père n’a jamais eu d’auto. À l’époque où il s’est marié, ce n’était pas rare. Plus tard, quand il travaillait à Montréal, il disait ne pas en avoir besoin; en ville, il y avait les « p’tits chars » et les tramways. Et quand il venait à Deschambault, les premiers temps, il prenait le train, puis plus tard, il voyagea par autobus. Mon frère aîné, Claude, n’a jamais eu d’auto. C’est Jacques, le quatrième de la famille, qui a eu la première automobile après qu’il eut commencé à naviguer. Cette voiture était une Dodge Crusader rouge 1954. Nous en étions tous très fiers! Enfin, nous avions nous aussi un « char » comme tout le monde dans le voisinage.

Le Monarch 1949, modèle acheté par mon beau-frère Odilon...

La Monarch 1949, modèle acheté par mon beau-frère Odilon…

Quelque temps après, notre grande sœur Élyane nous présentait son fiancé. Ce qui signifiait : une deuxième auto dans la famille. Notre beau-frère Odilon conduisait une Monarch de couleur beige et brun. Cette auto avait connu des jours meilleurs puisqu’elle datait de 1949, si je me souviens bien. C’était l’ancêtre des autos de la famille. Elle a tenu bon tout au long du voyage de noces de ma sœur et de mon beau-frère et elle a fait encore un bon bout après. Tout un « char »! Je ne pourrais nommer toutes les autos de mon beau-frère, mais je me rappelle surtout la camionnette de « Jacques-Cartier Cleaner », l’entreprise pour laquelle Odilon a travaillé durant plusieurs années. C’est avec ce véhicule que nous allions pique-niquer sur les bords du Richelieu, au Parc Roman (auquel je fais référence dans un article précédent, Images d’été).

Les plus jeunes de mes frères ont eu eux aussi différentes autos, plus souvent qu’autrement usagées. Georges a eu d’abord un camion; il n’était pas beau, mais il était très utile. Il eut par la suite une Pontiac qu’il avait repeinte lui-même en noir et rouge. Ça faisait tout un effet! Puis, après son retour de la Baie James où il avait été travailler, il s’est payé une petite folie et il a acquis sa superbe Camaro Z28… C’était du « char », ça, oui monsieur! Mais il a ensuite changé ses priorités : il s’est marié et il est devenu marchand général! Mon jeune frère Roger avait pour sa part un penchant pour les petites voitures sport, il a ainsi eu en sa possession deux autos de marque MG, une jaune et une verte. Il en parle encore avec un brin de nostalgie… Un jour, il a enfin possédé une voiture neuve, il s’agissait d’une Toyota 1972. Je ne pourrais vraiment pas faire la nomenclature de toutes les autos qui ont succédé. Mon autre frère – je rappelle que j’en avais huit – André, qui est mon cadet de 364 jours, a commencé à conduire un peu plus tard. Il fréquenta tout d’abord mon amie Francine qui enseignait à l’école primaire de Deschambault. Francine avait de grandes qualités… et elle avait aussi une auto, une Chevy II 1967. Un professeur, c’est habituellement quelqu’un de patient; elle a donc entrepris d’apprendre à André à conduire une automobile. Elle a très bien réussi. La preuve, il conduit toujours et il n’a pas d’accident à son actif. Je crois cependant qu’il est toujours escorté de trois ou quatre anges gardiens…

La première auto de mon mari, une Buick LeSabre 1959.

La première auto de mon mari, une Buick LeSabre 1959.

Quand mon futur époux et moi avons commencé à nous fréquenter, il ne possédait pas encore d’auto. Parfois il venait chez moi avec le camion de son frère aîné Louis-Joseph, parfois, faute de mieux, à bicyclette. Il arrivait aussi qu’il ait la chance de conduire la belle Chevrolet 1959 de son grand frère Gabriel. Durant le premier hiver de nos amours, notre vieille route n’était pas toujours bien entretenue, les tempêtes se succédaient à un rythme que les déneigeurs ne pouvaient pas suivre, mon soupirant devait donc parfois faire un bout de chemin à pied. Si ce n’est pas de l’amour… c’est sûrement quelque chose d’approchant!

Moi et la Oldsmobile 1960 dans la vallée de la Matapédia.

Moi et la Oldsmobile 1960 dans la vallée de la Matapédia.

Au début de l’été 1963, alors que mon prétendant prenait un petit congé entre deux bateaux, il a acheté son premier « char », une Buick Le Sabre blanche 1959. Selon moi, les plus belles autos ont été celles de l’année 1959 et la Buick était LA plus belle!   C’était une auto qui « flashait »! Même si je dois admettre qu’à l’usage, on s’est rendu compte que celle que Jacques avait achetée ne valait pas cher… C’est pourquoi, l’année suivante, comme nous avions décidé de faire notre voyage de noces en Gaspésie, il fallait être certain que notre auto soit capable de nous y conduire et de nous ramener à la maison. Cette deuxième voiture, achetée au réputé Garage Brassard de St-Marc-des-Carrières, était une Oldsmobile 98 noire 1960. Comme on disait alors, ça vous avait une allure de « char de ministre »!

Plymouth Duster '73. Nos trois p'tits gars l'aimaient bien celle-là!

Plymouth Duster ’73. Nos trois p’tits gars l’aimaient bien celle-là!

Nous avons eu par la suite quelques autos de marque Oldsmobile, toujours des voitures usagées, jusqu’en 1973, alors que mon époux, qui travaillait à Québec, a jugé bon d’acquérir une voiture neuve, bien que plus petite et économique. Cette première auto neuve était une Plymouth Duster 1973, bleue avec des bandes blanches. Nos trois petits gars la trouvaient bien belle! Elle a rendu de bons et loyaux services jusqu’en 1978. Par la suite, nous avons usé quelques petites autos… qui ne méritaient vraiment pas le terme de « char ». Jusqu’à ce que mon mari revienne en 1994 au style « char de ministre » avec d’abord la Chrysler Dynasty 1992, de couleur gris foncé. Cette merveille a été suivie en 2000 d’une Chrysler Eagle Vision 1995, noire, une voiture magnifique qui a tenu bon jusqu’en 2005. De 1963 à aujourd’hui, mon époux a eu quinze voitures, dont quatre qui étaient neuves à l’achat. Mais je dois dire que seulement sept ou huit parmi ces véhicules méritaient le titre honorifique de « chars »!

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015