À propos d’un village…

Ces jours derniers, sur Facebook, un texte a circulé et retenu l’attention de plusieurs, surtout des personnes d’un certain âge – mais au fait, pourquoi dit-on « un certain âge » quand on a atteint un âge certain? Comme si les plus jeunes avaient un âge incertain. Encore une des bizarreries de notre belle langue française! Mais passons. Le texte dont il est question s’intitule « COMMENT MEURT UN VILLAGE ».  On y parle du petit commerçant, qui met tout son cœur et son temps pour répondre aux besoins des gens de son village, parce que c’est chez lui et parce que c’est « son monde »!

Il est très bien fait ce texte où l’on expose les avantages et les inconvénients du petit magasin local et je vous en livre le contenu, en l’adaptant à notre situation. Si notre marchand général n’a pas autant de choix que les magasins de grande surface, il a l’avantage de la proximité. Il connaît son monde, accueille chacun en l’appelant par son nom; il s’informe de la santé des uns et des autres. Ensemble, on déplore le départ de Madame Chose ou de Monsieur Untel : « Monsieur Untel, il n’y a pas longtemps encore, il est venu au magasin… Cette pauvre Madame Chose! Elle avait pas loin de 90 ans! Mais elle était pas malade il me semble? » C’est au magasin général que se rencontrent les « placoteux » qui n’ont rien d’autre à faire; on y commente les nouvelles, on se plaint du déneigement mal fait ou des trottoirs glacés… « C’’est vraiment dangereux! »  C’est chez  lui qu’on va faire vérifier ses billets de Loto… même si ça prend du temps, et qu’on fait attendre d’autres clients; quelle patience il a notre marchand! Il lui arrive même de fredonner en  faisant ses vérifications. En attendant leur tour, les habitués peuvent toujours feuilleter une des revues exposées sur le présentoir.  Si on a manqué la messe le dimanche, on sait qu’il y a toujours en réserve des exemplaires du dernier bulletin paroissial.  On ne nous refuse jamais non plus de placer une affiche pour une activité de l’une ou l’autre association locale ou régionale.

Les nouveaux arrivés trouvent bien vite le chemin du magasin général; ils savent déjà que c’est là qu’ils trouveront les informations utiles concernant leur nouveau lieu de résidence.  Il paraît que les prix pour les denrées d’usage courant sont plus élevés. Mais si vous calculez le coût de l’essence, peut-être que vous vous apercevrez que ça vaut la peine de favoriser l’achat local!

Le texte dont je parle se termine ainsi et je cite : « À trop vouloir courir après la mauvaise qualité des bas prix, un jour les villageois n’auront plus qu’à se mordre les pouces. Les commerçants alors auront plié bagages et chacun sait ce que veut dire « boutique fermée ».  Voilà comment meurt le cœur et l’âme d’un village. »

À Deschambault, jadis, on trouvait une cordonnerie, une  boucherie, deux beurreries, au moins deux gares aux arrêts de chemin de fer, un traversier pour Lotbinière, une compagnie d’autobus, plusieurs garages, quelques petits magasins et j’en oublie! Tout cela sans compter le Magasin Général Paré, lequel, fort heureusement est toujours là. Notre village n’est donc pas près de mourir! Faisons plutôt la tournée des lieux : on a une boulangerie, une brûlerie, une chocolaterie, plusieurs restaurants qui offrent une variété de menus, de quoi satisfaire les plus difficiles et diverses entreprises que je préfère de pas énumérer de peur d’en oublier!

Une chose est certaine, tous ces commerçants, même s’ils sont contents de recevoir les touristes et les clients de passage, comptent évidemment sur la population locale pour s’enraciner chez nous; plus que nécessaire, je dirais que c’est primordial! Les touristes, ça passe… certains reviennent, mais la plupart ne font que passer… justement! On a besoin les uns des autres car voyez-vous, les propriétaires des commerces qui jalonnent le Chemin du Roy et les autres secteurs de notre patelin, savent  bien eux aussi, qu’un village ça peut mourir, lentement, mais sûrement. Et tout comme nous, ce n’est pas ce qu’ils souhaitent.

© Madeleine Genest Bouillé, 6 avril 2017

Patience et longueur de temps

« Patience et longueur de temps font plus que force et que rage. » Quand nous étions enfants, l’avons-nous assez entendu, cette maxime du temps passé! La patience n’étant pas l’apanage de la jeunesse, on se faisait régulièrement sermonner par les adultes, surtout les personnes plus âgées, lesquelles avaient eu toute leur vie pour apprendre et pratiquer la patience. Une bonne dame de ma connaissance avait une bien belle expression pour nous conseiller cette vertu, elle disait : « Prends vent! Tu vas durer plus longtemps! » Cette hâte qui nous porte à courir vers demain ne peut que nous empêcher de profiter du moment présent. On gâche ainsi des heures précieuses qui ne reviendront pas!

Le départ des glaces… (Photo: Jacques Bouillé)

On dit que la patience, c’est l’art d’espérer. Dans un précédent Grain de sel, j’ai écrit que « l’automne est saison d’espérance ». Je dirais donc que si l’automne nous parle d’espérance, le printemps, pour sa part, nous incite à la patience. Dans son livre Andante, écrit en 1944, Félix Leclerc parle du début du printemps qu’il nomme « Les matins noirs ». Il écrit ceci : « Ces sortes de matins d’avril où on dirait que la nuit continue, qu’il n’y aura pas de lever. Et il pleut, et la neige fond; il y a de l’eau partout! » Il faut avoir l’espérance bien accrochée pour croire que tout ce paysage sale et boueux va devenir vert et fleuri, que ces arbres aux longs bras décharnés vont se couvrir d’un épais feuillage. Le pire, c’est quand, comme cette année, on a un hiver tout croche. En février, on se croyait au printemps et maintenant, au milieu de mars, la froidure reprend « du poil de la bête » et on n’a jamais eu autant de neige que depuis le 15 mars! Mais enfin, les glaces sont parties et si les oies tardent un peu, c’est sûrement à cause du froid; ça se comprend! Bientôt nous en serons au temps des sucres, la première fête du printemps! Mais si vous avez déjà assisté au processus de transformation de l’eau d’érable en sirop, ensuite en tire, et enfin en sucre, vous n’ignorez pas que ça prend une bonne dose de patience pour faire tout ce travail… « patience et longueur de temps », on n’y échappe pas!

Photo: Jacques Bouillé.

Après le temps des sucres, on n’en est encore qu’au tout début du printemps. Les bourgeons commencent à poindre. Des buttes de neige sale s’élèvent encore aux endroits moins ensoleillés. Pour passer le temps, qui passe de toute façon, disons donc plutôt « pour occuper le temps », on peut toujours visiter les quincailleries et les centres jardins, qui nous offrent déjà tout ce dont nous aurons besoin bientôt, très bientôt! Des outils au mobilier de parterre ou de patio, en passant par les graines de semences de fleurs et de légumes, tout contribue à nous aider à patienter en attendant le vrai printemps.

La renaissance de la nature, c’est long, et c’est parfois difficile. En avril il n’est pas rare de passer quelques jours d’affilée à frôler le zéro, même si le temps d’ensoleillement allonge chaque jour. Notre patience est très limitée, nous ne sommes après tout que des humains! On a tellement hâte de ranger les vêtements et tous les accessoires qui rappellent l’hiver. On résiste difficilement à l’envie de porter la petite veste légère qu’on vient d’acheter… Mais il est préférable d’attendre! Un autre dicton dit aussi: « En avril ne te découvre pas d’un fil! », et c’est vraiment mieux de prendre ça au sérieux. On n’a pas de temps à perdre avec un rhume de printemps.  Ce sont souvent les pires.

Enfin, on arrive au mois de mai! S’il est un mois qui a été chanté sur tous les tons et de toutes les manières, c’est bien celui-ci.  De l’Hymne au printemps de Félix Leclerc, au vieux cantique de notre enfance C’est le mois de Marie, en passant par Le temps du muguet ou C’est dans le mois de mai, vous connaissez certainement aussi bien que moi plusieurs chansons qui célèbrent ce si joli mois. Quand il fait beau au mois de mai, on oublie les rigueurs de l’hiver, la noirceur des jours de pluie; comme la nature on reprend vie… tant il est vrai que le beau printemps, celui de l’herbe vert tendre et des arbres en fleurs, c’est bien ce dernier mois avant l’été! N’est-ce pas que ça valait la peine de patienter!

La rue Saint-Antoine en mai, vue du clocher de l’église (photo: Jacques Bouillé).

Je termine avec cette prière que j’ai trouvée par hasard un jour où je devais en avoir grand besoin : « Seigneur aide-moi à apprendre et à aimer la patience. Lorsque je suis tendue par toutes les choses qui me préoccupent, arrête mes pas et tranquillise mes pensées. Donne-moi le courage de supporter les contrariétés qui m’assaillent. Je sais que lorsque je suis impatiente avec les autres, c’est avec Toi que je le suis, Seigneur. Enseigne-moi la patience, enseigne-moi la sérénité, enseigne-moi la paix.  Amen »

© Madeleine Genest Bouillé, 17 mars 2017

Il était une fois des gens heureux

Vous connaissez sûrement cette chanson Il était une fois des gens heureux. Ça raconte l’histoire des gens qui ont vécu avant nous dans ce pays, ceux qui nous ont fait ce que nous sommes, qui nous ont légué tout ce qu’ils avaient et tout ce qu’ils savaient. Des gens heureux… du moins c’est ce qu’il nous semble, quand on regarde les albums de photos. C’est l’une de mes chansons préférées. Elle est de Stéphane Venne, un de nos meilleurs auteurs. Je vous livre la réflexion que cette chanson m’a inspirée.

« C’était en des temps plus silencieux… » Il n’y avait pas cette foule d’appareils électriques qui fonctionnent tous en même temps dans la maison, avec la télévision toujours présente, même quand personne ne l’écoute,  et ces tablettes et ces téléphones intelligents qui mobilisent l’attention, tellement qu’on ne se parle plus! La radio jouait en sourdine, on augmentait le son seulement pour les programmes qu’on écoutait religieusement : les romans-fleuve, les nouvelles, et le soir, le chapelet en famille, puis le samedi, la soirée du hockey. Quand les programmes étaient terminés, on tournait le bouton. Le silence avait du prix et il mettait en valeur les conversations des gens de la maison. On avait le temps de se regarder, de se parler. Autour de la table, à l’heure du repas du soir, on se racontait sa journée. Les enfants manifestaient leur présence en faisant semblant de se chamailler; si le ton montait, on les réprimandait un peu, pour la forme. « Parlez à ceux qui s’en souviennent… »

 « Ils disaient toutes choses avec leurs yeux si pleins de confiance… » Dans la famille, on se faisait confiance. Les explications duraient moins longtemps, il n’était pas nécessaire d’en dire trop. D’un regard on se comprenait. Chacun faisait son métier : le père gagnait le pain de la maisonnée, certaines décisions lui revenaient de droit. La mère, eh bien, c’était la mère, le cœur de la famille et c’était elle qui avait en définitive, le dernier mot. Elle disait au père : « Tu as bien fait », ou « C’est une bonne idée ». Ils étaient d’accord; sinon elle disait seulement : « On en reparlera ». C’était aussi à elle que les enfants se confiaient, souvent à demi-mot.

« Tout était si simple et merveilleux… » On se fréquentait entre voisins sans cérémonie : « Assoyez-vous donc… Vous prendrez bien une tasse de thé? » Et on se racontait les nouvelles de la paroisse.  On ne s’inquiétait pas tellement de ce qui se passait ailleurs dans le monde… c’était si loin le monde! Il y avait moins de journaux, donc moins de journalistes pour compliquer les événements et leur donner une ampleur démesurée. Et les nouvelles arrivaient avec beaucoup de retard. On attachait plus d’importance à ce que le curé disait dans son sermon qu’aux boniments des annonceurs de radio!

« C’était quand les mystères pouvaient rester mystérieux… »  Pour les gens de ce temps-là, les mystères, ça faisait partie de la vie. Maintenant on veut tout expliquer, tout décortiquer, tout comprendre. Pourtant il y a des choses qui doivent rester comme elles sont, où elles sont. Une vie sans mystère, c’est comme une longue route trop droite, ça peut devenir ennuyant, endormant même!

« Il était une fois des gens de paix. Puis vinrent les années de vent mauvais… » Elle était pourtant loin, la guerre. Ça se passait de l’autre côté de l’océan. Le gouvernement avait promis qu’on n’enrôlerait personne de force. Seulement les gouvernements, ça dit une chose un jour et parfois, le lendemain, ça dit le contraire.  C’est selon si on est en période d’élection ou non. On est allés cueillir les hommes dans leurs foyers. Certains se sont cachés pour éviter la conscription, d’autres se sont mariés, à toute vitesse, pour l’éviter… quitte à le regretter après.

« À table il y eut des chaises vides, aux yeux vinrent les rides… » La guerre, elle en a fait des ravages! Beaucoup de nos soldats sont tombés sur les champs de bataille en Europe. Après, dans les campagnes et dans les villes, se comptaient maintes familles endeuillées. Et puis, les femmes avaient commencé à travailler à l’extérieur de la maison, dans les usines de guerre. On s’habitue vite à gagner de l’argent! On s’aperçoit qu’on a besoin d’un tas de choses dont on se passait très bien avant. Pour ceux qui étaient revenus de « l’autre bord », comme on disait dans le temps, autant que pour leur famille, la vie n’a plus jamais été la même.

« …il ne resta plus rien de vrai… » Les humains ne changent pas, du moins pour certaines choses. Voilà que maintenant encore, il y a des chaises vides autour de la table, dans les maisons, où des hommes ont choisi d’aller se battre, pour empêcher d’autres hommes de venir chez nous répandre la terreur. Mais la terreur traverse les océans, elle est partout, elle change de costume, de visage… les bons ne sont plus tous bons et on s’aperçoit que les méchants ne sont pas toujours ceux qu’on croit!

« Il ne faut pas chercher à savoir où s’en va le temps.  Il s’en va pareil aux glaces sur le Saint-Laurent… » Comme les glaces, les années passent et se fondent dans l’océan de toutes les vies passées. Il ne faut pas chercher à savoir où s’en va le temps… on doit juste en profiter, l’utiliser le mieux possible, sans le gaspiller.

« On fait toute la vie semblant qu’on va durer toujours. Pareil au fleuve dans son cours… » Vivre d’espoir, c’est la seule façon de vivre heureux. On le sait bien qu’on ne durera pas toujours, mais au fond on espère qu’il restera quelque chose de ce qu’on a été, de ce qu’on a donné, de ce qu’on a vécu. Le fleuve sait lui aussi qu’il s’en va se perdre dans la mer, il n’arrête pourtant pas de couler pour ça!

« Et c’est peut-être rien que pour ça qu’on fait des enfants… » Dans le temps, on se mariait et les enfants venaient tout naturellement, parce que le mariage était fait pour ça. Au commencement, il a bien fallu peupler ce pays si dur à défricher. Les enfants, c’était la main d’œuvre, la relève, la continuité de la famille, de la terre, de la patrie. C’est toujours vrai. Pourquoi préparer un avenir s’il n’y a personne à mettre dedans!

« Il était une fois des gens heureux… » Et c’est en se souvenant de ces gens-là qu’on travaille, qu’on va de l’avant, qu’on aime et qu’on vit en essayant d’être heureux, nous aussi.  Parce qu’aujourd’hui comme hier, malgré tout, « le monde est beau! »

 © Madeleine Genest Bouillé, 5 mars 2017

N.B. Toutes les photographies proviennent de ma collection privée.

 

(Texte paru dans Récits du Bord de l’eau, 2008)

La vie, c’est comme le gâteau Caramilk

Dans notre famille, à partir de février on entame la saison des anniversaires. Durant sept mois, on en a au moins un ou deux chaque mois. J’aime faire des gâteaux de fête; même si plus souvent qu’autrement, ils ne sont jamais aussi beaux que je le voudrais, mais au moins ils sont bons. Quand mes enfants étaient plus jeunes, chacun avait sa préférence :  gâteau aux ananas pour l’aîné – quand ce n’était pas une tarte aux bleuets! –, gâteau « Forêt Noire » pour le deuxième, le troisième qui fête en juillet avait presque toujours un gâteau décoré de fraises, tandis que notre fille ne fêtait jamais sans un gâteau « rose », au grand désespoir de ses frères qui n’aimaient pas ça du tout!

Un jour, j’ai reçu la recette du fameux « gâteau Caramilk ». Tout un gâteau! La première fois qu’on « embarque » dans cette recette, ça s’appelle : « Tenez bien vos tuques, ça va barder! » Curieusement, j’en ai tiré la réflexion suivante : la vie, c’est comme le gâteau Caramilk!

Le début de la recette est bien simple, comme les années de la petite enfance, dont on ne garde d’ailleurs que peu de souvenirs. Je dois commencer par étaler au fond du moule un mélange de sucre et de cacao en poudre. Seulement ça, c’est facile!

Dans la vie, viennent ensuite les premières années d’école, beaucoup d’apprentissages, mais comme on est enthousiaste! Dans la recette, j’en suis rendue à mélanger les ingrédients comme pour tout gâteau ordinaire. Jusque-là, c’est du travail, soit. Mais si on ne fait pas deux choses à la fois, si on est attentif, qu’on ne placote pas trop (comme à l’école), ça va très bien.

Voici que les choses commencent à se compliquer. Je dois étendre la moitié du mélange de pâte dans le moule. La moitié, c’est peu et ça ne s’étend pas bien, mais tant bien que mal, j’y arrive. Maintenant on me dit d’enfoncer dans la pâte deux tablettes de chocolat Caramilk en morceaux. Ça n’a pas de bon sens, je n’y arriverai jamais. Il y a beaucoup trop de petits carrés! Pour me consoler, j’en mange deux morceaux… ça fera ça de moins à caser. Dans la vie, cette étape-là, c’est quand on est rendu à l’âge de « raison ». On a commencé à connaître les hauts et les bas de la vie d’étudiant. Il y a des journées où, que ce soit au niveau strictement scolaire, ou avec les amis, la famille, on rencontre des difficultés, des déceptions auxquelles on n’est pas habitué: « C’est pas vrai le Père Noël… Les parents et les professeurs n’ont pas toujours raison… On aurait de bien meilleures idées qu’eux parfois, souvent même! »

L’étape suivante, je la comparerais à cette période de la vie où l’on flotte sur un petit nuage rose : la vie est belle, on est en amour, c’est nouveau, ça va durer toujours… du moins on le croit. J’étends sur ma moitié de gâteau la deuxième couche de sucre-cacao.

Finalement, ce n’est pas si difficile que ça cette recette-là. Attendez… c’est maintenant que ça se corse! Il faut étendre le reste de la pâte par-dessus cette deuxième couche de sucre-cacao. Il me semble qu’il ne reste pas assez de pâte; j’ai du mal mesurer la première moitié, ça ne couvrira jamais. Sainte Anne, sainte Catherine, sainte Gudule… c’est qui donc la patronne des cuisinières? Au secours! Bon, après bien des misères, j’y arrive tout de même. J’espère que ça va étendre en cuisant. Oh! Mais c’est pas tout. Il faut encore enfoncer dans la pâte deux autres tablettes Caramilk en morceaux. Quelle idée de fou j’ai eue de vouloir faire ce gâteau de malheur! Je mange encore deux carrés, je les mérite bien. Et puis ça fera ça de moins, je sais plus où les mettre. Enfin voilà, c’est terminé.

L’apparence est très ordinaire, mais attendez que ça cuise. Quel gâteau! Ça lève, c’est superbe et surtout, c’est un pur délice! Les morceaux de Caramilk en fondant, font un marbré caramel-chocolat, un vrai péché! Vous vous demandez quel rapport ça peut avoir avec la vie? La dernière partie de la préparation du gâteau, c’est ce que chacun de nous vivons chaque jour. Ce n’est jamais comme on voudrait : pas assez de ceci, trop de cela.  On s’est trompé quelque part et la vie n’offre pas toujours de « deuxième chance », comme à la télévision. Parfois, les apparences sont trompeuses. On pose des gestes, on prend des décisions, on craint les résultats… ou parfois ceux-ci se font attendre. On crie « Au secours ! »… pas sûr d’être entendu. On essaie de se donner des chances par tous les moyens : on lésine ici, on escamote la vérité là, on fait quelques entourloupettes pas toujours correctes. Ça, ce sont les carrés de chocolat que j’ai subtilisés à la recette, vous voyez! Mais on s’encourage malgré tout, et on va jusqu’au bout, surtout!

Je crois fermement oui, qu’on doit aller jusqu’au bout; appelez cela de la foi, de l’espérance indécrochable ou simplement de la curiosité. Lâcher en cours de route, c’est gaspiller de si bonnes choses et rater un si bon gâteau! Parce que vraiment, la vie est belle et bonne… comme le gâteau Caramilk!

© Madeleine Genest Bouillé, 28 février 2017

(Texte paru pour la première fois dans mon 2e livre, Grains de sel, grains de vie, en 2006).

L’amour, ce qu’on en dit et ce qu’on en pense!

oqwp8iy6La Saint-Valentin est à nos portes et on ne peut quand même pas faire comme si cette fête des amoureux nous laissait indifférents! Mais qu’est-ce que cet amour dont on parle sur tous les tons, de la comédie à la tragédie? Dans l’opéra de Carmen, on chante que : «  l’amour est enfant de Bohème, qui n’a jamais connu de loi »… c’est grandiose, dramatique! Par contre, ce qu’on nous fait voir dans les films, à la télévision ou sur Internet et ce qu’on lit dans les revues et les romans modernes nous montre l’amour comme quelque chose de « capotant », une flambée qui dure le temps d’un beau feu d’artifice… c’est-à-dire, pas longtemps!

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part, je crois que l’amour, le vrai, c’est plus que ce petit feu de camp qui réchauffe seulement les mains, laissant le dos frissonnant dans la fraîcheur du soir. On a à peine le temps de faire griller quelques guimauves, et c’est fini! Tout le monde sait qu’un feu qu’on n’attise pas meurt tout doucement… Les braises ont fréquemment besoin d’être réveillées.

carte-postale-ancienne-amourPour étoffer mon grain de sel, je suis allée voir ce qu’en disent les penseurs, les écrivains, quelques saints même, toutes gens d’époques différentes. Tout d’abord, saint Paul, ce saint sévère à qui on reproche parfois de ne pas aimer les femmes, consacre tout une épître à l’amour; ça se résume en ces mots : « Si je n’aime, je ne suis rien ». Saint Augustin – un saint qui ne l’a pas toujours été – précise que « La mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure ». D’une façon très poétique, un proverbe africain dit : « Là où l’on s’aime, il ne fait jamais nuit ». Si l’amour peut éclairer la vie, la comtesse de Ségur nous prévient qu’il est aussi « comme la lune : quand il ne croît pas, il décroît ».

Qu’est-ce donc que cet amour dont on ne parle souvent qu’à demi-mot – sans doute pour ne pas l’effrayer – et qui est la cause de tant de bonheur et aussi, de tant de malheur ? D’après Victor Hugo – un infidèle notoire – « Aimer, c’est la moitié de croire ». Et qui ne connaît pas cette phrase de Saint-Exupéry : « S’aimer, ce n’est pas se regarder l’un, l’autre, c’est regarder ensemble vers la même direction ». L’auteur du Petit Prince dit aussi : « L’amour véritable commence là où il n’attend rien en retour ». Philosophe français, du début du XXe siècle, Gabriel Marcel nous donne cette très belle définition : « Aimer un être, c’est espérer en lui pour toujours ». L’amour vrai peut même se passer de paroles selon cet autre philosophe français, Jean Guitton : « L’amour solide, c’est pouvoir se taire ensemble sans briser l’entretien ».

presentationQui n’a pas déjà lu ou entendu ces vers de Rosemonde Gérard : « …et chaque jour je t’aime davantage… aujourd’hui, plus qu’hier, et bien moins que demain ». Dans l’amour qu’est-ce qui importe? Michel Quoist dit : « L’essentiel de l’amour n’est pas de faire quelque chose pour l’autre, mais bien d’être là pour l’autre ». Dans la même veine, Félix Leclerc nous dit : « L’amour se passe de cadeau mais pas de présence ». De Félix, j’aime beaucoup cette autre pensée : « Le verbe AIMER pèse des tonnes : des tonnes de chagrins, d’inquiétudes, de joies, etc… Ne le fuis pas. Le verbe NE PAS AIMER pèse encore plus lourd ».

Donc, aimer, c’est être là pour l’autre, espérer en lui, croire en lui. Ce n’est pas tout.  C’est d’un écrivain autrichien, Reiner Maria Rilke, que nous vient cette pensée : « Le plus beau cadeau que l’on puisse faire à la personne aimée, c’est la liberté ». Celle-là, elle mérite d’être lue, relue et méditée!

Quand j’étais étudiante, la mode était aux carnets d’autographes. C’était un accessoire indispensable et c’était à qui aurait le plus de signatures. Sur la première page de mon carnet, mon père avait écrit ceci : « Rien ne fait un effet plus magique que celui d’être aimé. C’est comme si le bon Dieu posait la main sur votre épaule ». Et voici un proverbe russe qui en dit long : « Les défauts sont épais là où l’amour est mince ». À ceux qui croient que l’amour et le mariage sont incompatibles, André Maurois dit ceci : « Un mariage heureux est une longue conversation qui semble toujours trop brève ». Et que dire de ce si joli poème de Félix Leclerc :

st-valentin-3« Plus fragile que la feuille à l’arbre, la vie.
Plus lourde que montagne au large, la vie…
Légère comme plume d’outarde,
Si tu la lies, à une autre vie…
Ta vie… »

 Il y en aurait tant d’autres, de ces pensées, maximes et poèmes, et que dire des chansons, telles l’immortelle Parlez-moi d’amour! Tous nous parlent de l’Amour avec un « grand A ».  Je termine avec ces deux petits mots qui en disent beaucoup :

De Julos Beaucarne, le barde belge : « Plus on aimera trop, moins ce sera assez ».

Et de Victor Hugo : « Moi, je ne veux qu’aimer, car j’ai si peu de temps! »

Bonne Saint-Valentin à  chacun et chacune de vous!

© Madeleine Genest Bouillé, 11 février 2017

Les beaux glaçons!

C’est une belle journée de février. J’écris en regardant miroiter le soleil sur le fleuve gelé. Le fleuve gelé? Ah oui! C’est vrai, cet hiver il n’est pas gelé partout. Je vous explique ce phénomène; passé l’embouchure de la rivière Belle-Isle jusque dans le haut du village, quelques petites iles émergent du fleuve à marée basse, et en hiver, ces ilots retiennent les glaces. Ce qui nous donne la chance d’avoir une large bande de glace, pour nous rappeler le temps où le fleuve « prenait » jusqu’au « chenail » selon l’expression en usage autrefois. Maintenant, avec les gros bateaux qui sillonnent la « route d’eau » tout l’hiver, les glaces ne résistent pas.

Crédit photo: Jacques Bouillé (©coll. Madeleine Genest Bouillé)

Crédit photo: Jacques Bouillé (©coll. Madeleine Genest Bouillé)

À cette période-ci de l’hiver, alors que le soleil et le froid jouent à cache-cache, la façade de notre vieille maison est ornée d’un rideau de glaçons; on dirait qu’ils ont été posés là pour remplacer les décorations du temps des Fêtes! Vous allez rire, mais quand je sors pour aller chercher le courrier ou pour une promenade, je ne peux m’empêcher de me décrocher un beau glaçon, en prenant bien soin de ne pas le briser. C’était un jeu quand nous étions enfants – j’ajoute que mes grands enfants le font encore parfois, quand ils viennent à la maison.

Lorsque nous étions jeunes, je me souviens du plaisir que nous avions à décrocher les glaçons qui pendaient du toit, le but étant de ne pas les briser. C’était à qui aurait le plus beau! On s’amusait ensuite à les planter dans les murailles des forts que les garçons avaient construits. Pendant que nous, les filles, décorions les édifices de neige avec ces ornements glacés, les gars, pour faire les « fins », bombardaient nos fragiles sculptures. Bien entendu, nous ripostions et alors, c’était la guerre! Je revois les rangées de « boulets » de neige, alignés sur le rebord de la forteresse… ça prenait peu de choses pour déclencher les hostilités! Quand les gars lançaient leurs cris de Sioux sur le sentier de la guerre, nous répondions avec des cris aussi vigoureux, quoique plus aigus! Quand j’y pense… Nous nous amusions simplement et avec peu de choses, en ce temps-là. Peu de choses? À vrai dire, non, puisque notre terrain de jeux était vaste et variait selon les saisons. On savait utiliser ce que justement, chacune des saisons nous offrait : la neige et la glace, en hiver, les rigoles au printemps, les champs et la grève en été, puis en automne, les feuilles mortes.  Il me semble qu’on ne s’ennuyait jamais… Mémoire, qu’en dis-tu?

Crédit photo: Jacques Bouillé (©coll. Madeleine Genest Bouillé).

Crédit photo: Jacques Bouillé (©coll. Madeleine Genest Bouillé).

Je reviens à ce beau jour de février… À chaque hiver, je me décroche au moins une fois un beau glaçon que je plante sur un banc de neige, même s’il n’y reste pas longtemps. Ça peut paraître enfantin, mais pour moi, c’est un geste qui a une signification. Je dirais que c’est un retour aux sources, comme quand, durant l’été, on ramasse des coquillages et des roches sur la grève. Quand je fais le ménage, il n’est pas rare que je retrouve une boite où sont entassés ces trésors venus de la grève; parfois il y a une date écrite sur la boite, parfois non. Ce besoin de décrocher des glaçons, c’est aussi comme quand, à l’automne, on ramasse quelques belles feuilles qui jonchent la pelouse. Ces feuillages qu’on place ensuite entre les pages d’un livre et qu’on oublie jusqu’à ce que, par hasard, lors d’une froide journée d’hiver, on ouvre un livre d’images et on y trouve une feuille d’érable ou de chêne, toute belle, comme si on venait de la cueillir. Malheureusement, pour ce qui est des glaçons, on ne peut pas les conserver! À moins de les avoir pris en photos…  comme vous pouvez le constater!

Je ne sais plus qui a dit ceci : « On ne se guérit pas de son enfance ». Que c’est donc vrai! Et avouez, c’est tant mieux!

© Madeleine Genest Bouillé, 3 février 2017

Vive la tempête!

Dès mon réveil ce matin-là, je sens qu’il y a quelque chose d’inhabituel. Je n’entends passer aucune auto, pas non plus de camions, ni d’autobus. Par la fenêtre, je ne vois que du blanc. Il fait un vent à écorner les bœufs et on ne voit ni ciel, ni terre. C’est la tempête!

Alors je me rappelle les matins semblables du temps où mes enfants allaient à l’école. Tôt levés, ils écoutaient les nouvelles afin de savoir si les écoles seraient ouvertes ou fermées.  Quelle joie quand ils entendaient le nom de notre commission scolaire dans la nomenclature des établissements qui étaient fermés pour la journée! Personne ne retournait se coucher, non, on ne gaspille pas un congé imprévu en restant au lit. C’est qu’ils en trouvaient des choses à faire ce jour-là! Jamais en ces jours de tempête je n’entendais la phrase si décourageante :M’man j’sais pas quoi faire.  Aussitôt le déjeuner avalé, ils enfilaient leurs habits de neige, les bottes, les tuques et les mitaines et disparaissaient dehors pour un bout de temps. J’ai toujours aimé ces congés inattendus.  Je me réjouissais du plaisir de mes enfants… même s’ils ramenaient tout plein de neige avec eux quand ils rentraient et qu’on en avait pour la journée à faire sécher tous ces vêtements mouillés.  Mais que nous importait ces petits désagréments?… C’était congé!

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. ©Madeleine Genest Bouillé

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. ©Madeleine Genest Bouillé

Tout le monde était de bonne humeur, la maison résonnait de jeux et de rires, et comme ils avaient faim ces jeunes ogres! Généralement ces jours-là, on me réclamait pour le dîner une montagne de frites avec des saucisses ou un gros spaghetti. Il n’y avait pas d’horaire : on mangeait plus tôt ou plus tard que d’habitude, pas grave! Au cours de l’après-midi, chacun s’isolait avec un livre ou encore, ensemble, ils s’attablaient devant un jeu de société, comme le Monopoly. On dit que la mémoire embellit les souvenirs heureux, peut-être est-ce vrai, mais selon moi, le rappel de ces jours où la tempête nous gardait tous ensemble à la maison, font partie des pages les plus heureuses de notre histoire familiale.

J’aime toujours autant ces journées où l’hiver se déchaîne et nous envoie avec fracas ses neiges et ses vents en essayant de nous faire peur! S’il y a des rendez-vous, ils sont reportés évidemment. Les commissions vont attendre au lendemain; pas de réunions, ni aucune autre sortie non plus : il fait tempête!  Finalement ces congés forcés sont une halte nécessaire dans notre vie si bien ordonnée et réglée par l’horloge, le calendrier et l’ordinateur!

Vive la tempête qui nous permet de faire l’école buissonnière!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 février 2017

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. Madeleine Genest Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. Madeleine Genest Bouillé.

(Texte publié dans mon livre © Propos d’hiver et de Noël, 2012)

Un enfant, c’est comme un Whippet

Je regardais un de mes petits-fils en train de déguster un Whippet. Il commence par lui donner un bon coup de poing, écrasant ainsi la couverture en chocolat. Alors la guimauve apparait ici et là, et aussi la fine couche de gelée, aux framboises ou aux fraises, il n’y a pas tellement de différence; heureusement, le biscuit tient bon, caché sous son habit blanc et brun très amoché.

Je me suis alors fait la réflexion qu’un enfant, c’est comme un Whippet. Je m’explique. Prenons tout d’abord le biscuit. Un biscuit très ordinaire, il n’a pas de saveur particulière; on n’entend jamais parler de lui dans la publicité. Il pourrait aussi bien ne pas être là, ça ressemblerait alors à une de ces confiseries en guimauve recouverte de chocolat, plantée sur un bâtonnet. Quand on était jeune on appelait ça un « balai au chocolat ». Mais voilà, ça ne serait pas un Whippet!

Supposons qu’à notre naissance on soit un biscuit. Personne ne sait quel genre de biscuit on deviendra. Au départ, tous sont secs, sans garniture, ils sont faits d’une même pâte; qu’ils soient ronds ou carrés, avec des motifs, des petits trous ou des écritures dessus… Petit Beurre, Social Thé, Goglu, ou le biscuit rond, sans nom, qui deviendra Whippet! Assistons à son évolution.

On ne devient pas Whippet du jour au lendemain! Les débuts dans la vie sont lents et laborieux. Tout le monde sait ça. On est fragile à cet âge tendre… Puis un beau jour, petit biscuit essaie de ramper, puis il avance à quatre pattes; et voilà qu’il découvre plein de choses. Bien vite, il s’aperçoit que les grandes personnes, ça marche debout… c’est donc pour ça qu’elles sont si grandes! Alors il se lève sur ses petites jambes pas bien solides. Hardiment, il fait quelques pas, il tombe, se relève… et il recommence. De plus en plus, il imite les adultes. Il les entend parler, alors il veut parler lui aussi. Il retient des sons, des mots, il répète ce qu’il entend. Les adultes rient de ses babillages… alors il rit aussi!

Quoi de plus charmant que ces petits bouts de chou qui disent n’importe quoi et qui sont si drôles! Face aux rires des grandes personnes, certains enfants sont plus gênés et se cachent, tandis que les autres, s’apercevant de l’attention qu’on leur porte, en rajoutent! En termes techniques, on dira qu’ils sont introvertis ou extravertis. Ça, voyez-vous, c’est la couche de gelée de fraises ou de framboises qu’on vient d’étaler sur le biscuit. Ça semble peu, mais c’est déjà le début d’une personnalité qui se montre le bout du nez. L’épaisseur de la couche de gelée peut varier et la saveur est différente selon le cas. On  hésite encore entre l’idée de devenir un biscuit sandwich avec un ajout de noix de coco, ou encore une mince couche de chocolat; ce ne serait pas si mal, mais le produit ne serait jamais un Whippet!

Petit biscuit deviendra grand… pourvu qu’on s’en occupe! Pour devenir un Whippet digne de ce nom, il a du chemin à faire. On commence à percevoir ce à quoi il va ressembler plus tard. Il apprend toutes sortes de choses, certaines lui sont enseignées dans sa famille et d’autres à l’école. Il apprend aussi par lui-même un tout autre bagage. Notre biscuit est en train de fabriquer sa couche de guimauve et ça, c’est du sérieux! Pour ce faire, tout lui est utile; les mots doux ou aigre-doux qu’on se dit entre parents, en ne tenant pas compte de sa présence, et qu’il entend même s’il ne sait pas à quoi ça rime. Et que dire de ces moments où il observe les adultes qui rouspètent, soit parce qu’ils sont fatigués, ou contrariés. Notre petit biscuit a parfois un de ces regards… c’en est presque gênant. Attention! Il ne faudrait quand même pas lui saboter sa couche de guimauve!

Ne nous affolons pas! Il est bien parti ce biscuit et il aura à préserver lui-même sa carapace pour devenir un vrai Whippet. On lui a donné tout ce qu’il lui faut; il a maintenant sa taille d’adulte. Il est prêt! C’est un bon biscuit rond, plat, sec… la couche de gelée révèle la personnalité de notre jeune Whippet. Il arbore une jolie silhouette; la couche de guimauve a été particulièrement soignée. Et je vous le garantis, vous aurez beau le retourner en tous sens, vous ne trouverez pas une faille dans l’enrobage de chocolat, justement parce qu’il est fait d’une généreuse couche d’amour. Ses parents peuvent être fiers, c’est le plus magnifique Whippet qui soit au monde!

C’est beau un Whippet!  Je n’oserais jamais en écraser un avec mon poing!

© Madeleine Genest Bouillé, 9 janvier 2017

Le dernier acte

Peut-être est-ce parce que je suis née à la fin de ce mois, mais quand arrive novembre, j’ai l’impression d’assister au dernier acte d’une pièce de théâtre. On voudrait que ça continue, mais en même temps on sait bien que la finale s’en vient. On peut presque la prévoir. On se surprend à regarder l’heure… il reste 20 minutes; on voudrait que ça finisse bien, c’est tellement décevant une pièce qui finit mal! On est un peu anxieux. On regarde encore l’heure… plus que quinze minutes. Ces dernières scènes sont très importantes, les gestes, les répliques resteront dans notre mémoire et ce sont souvent ces minutes-là qui détermineront l’appréciation que nous garderons de toute la pièce.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Ainsi en est-il du mois de novembre. Pour moi, c’est un mois déterminant dans l’histoire de l’année en cours. Dans ma jeunesse, comme tous les enfants, j’avais hâte à ma fête et tout de suite après, je me permettais d’avoir hâte à Noël. Maintenant, j’aimerais mieux oublier mon anniversaire, mais je ne le puis, alors je m’occupe, je tourne, je vire, je commence une chose, puis une autre. D’ailleurs il y a tant à faire en cette fin d’automne, et comme en vieillissant on ralentit quelque peu, je commence donc plus tôt mes préparatifs pour la fête de Noël. Mine de rien, je vérifie la quantité et l’état des décorations, je trie mes recettes … je n’aime pas me faire dire : « Tu trouves pas que c’est un peu tôt? »

Certains livres de ma bibliothèque sont pour moi des références sur différents sujets. Et périodiquement, j’aime à en relire des passages, selon les saisons. C’est le cas pour le livre de Jean Provencher Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent. J’aime surtout le chapitre qui parle de l’automne. Ces jours derniers, je relisais donc les pages qui décrivent les multiples travaux que nos ancêtres devaient effectuer avant l’hiver.  Seulement pour les activités domestiques, on compte cinquante pages. Je vous fais grâce des nombreuses tâches décrites dans ce chapitre, mais à partir du moment où on s’apprêtait à quitter la cuisine d’été pour réintégrer la maison proprement dite, il y en avait de l’ouvrage à faire. Cela sans compter les récoltes et la conservation des aliments.

Écossage et mise en conserve des haricots. Source: blogue Potagers d'antan.

Écossage et mise en conserve des haricots. Source: blogue Potagers d’antan.

Cette lecture me ramène longtemps en arrière, quand j’étais enfant. Les travaux d’automne, c’était tout d’abord la fabrication des conserves et confitures; ce travail qui occupait presque tout le monde. Même les enfants pouvaient participer; je me souviens d’avoir coupé des légumes en petits morceaux pour les mettre ensuite dans des pots, je ne sais pas quel âge je pouvais avoir… je me revois aussi tournant une manivelle, peut-être celle de la sertisseuse. Une autre étape des travaux d’automne dont j’ai souvenance, c’est la pose des « châssis doubles ». Toutes les fenêtres, sauf celles de la façade, qui donnaient sur la route, avaient une moustiquaire, qu’on appelait un « scring » (pour screen, un des multiples mots anglais qu’on disait tout de travers). J’aimais ce changement de fenêtre, il me semblait qu’il faisait plus clair. Il fallait la plupart du temps remettre du mastic pour tenir les vitres en place et parfois, je me souviens qu’on mettait des lisières de coton « à fromage » pour empêcher l’air froid d’entrer par les interstices. Bien entendu, avant d’installer les fenêtres d’hiver, il fallait d’abord les laver et au besoin repeindre les boiseries. Tant qu’à y être, on lavait aussi les rideaux et les tentures. Je me rappelle aussi qu’on sortait les gros édredons et les manteaux qui n’allaient pas dans la laveuse, et on les mettait sur la corde à linge pour les aérer et enlever l’odeur des boules à mites. C’était tenace cette odeur!

Cimetière de Deschambault. Crédit photo: Patrick Bouillé.

Cimetière de Deschambault. Crédit photo: Patrick Bouillé.

Dans mes souvenirs, novembre c’était surtout le « mois des morts ». On entendait parler de l’Halloween, mais pour nous, ça ne voulait pas dire grand-chose. Je me rappelle qu’on découpait des masques épeurants à l’endos des boîtes de Corn Flakes, rien de plus! Nos fêtes du début de novembre étaient pas mal plus sérieuses. Le 1er du mois, c’était la Toussaint, une fête d’obligation, et comme son nom l’indique, la fête de tous les saints.  Le lendemain, Jour des Morts, il y avait encore une messe, cette fois pour tous les défunts de la paroisse. Autrefois, après cette messe, se tenait la Criée pour les âmes. Sur certaines photos anciennes, on peut voir le kiosque de la criée qui était placé au coin du cimetière, du côté de la rue de la Salle. Chaque jour de ce mois, on nous invitait à prier pour nos défunts. À 7 heures du soir, à l’église, on sonnait le glas pour nous rappeler de réciter les Paters; ces oraisons consistaient en cinq Paters, cinq Aves, cinq Gloria Patri et autant d’invocations pour les âmes des défunts. À cette heure en novembre, il fait déjà nuit, le glas résonnait lugubrement entre les lamentations du vent dans les arbres dépouillés; on ne pouvait absolument pas oublier les parents partis pour l’autre monde! Mon grand-père est décédé au début de novembre en 1955; nul besoin d’ajouter que ce mois-là, à chaque soir, je ne pensais qu’à lui! Si seulement je m’étais alors rappelé les blagues qu’il lançait et les airs joyeux qu’il fredonnait assis sur son vieux banc de cordonnerie, mais non, je le revoyais dans sa tombe, endimanché et solennel… Ça ne lui ressemblait pas vraiment.

Mon grand-père Edmond "Tom" Petit et ma grand-mère Blanche (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Mon grand-père Edmond « Tom » Petit et ma grand-mère Blanche (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Pour mettre un peu de joie dans ce mois plutôt sévère, le 25 novembre on fêtait la Sainte-Catherine. La tradition voulait qu’en ce jour, on fasse de la tire à la mélasse. On nous avait raconté à l’école que Marguerite Bourgeois, une des fondatrices de Ville-Marie, avait utilisé cette friandise pour attirer les jeunes amérindiennes et ainsi parvenir à leur donner quelques rudiments d’instruction. Je ne sais pas quel rapport il y a entre la dégustation de tire et la Sainte-Catherine, qui était jadis la fête des « jeunes filles prolongées »! Mais je me souviens de cet écheveau de belle tire blonde qu’on étirait tant et plus, et qu’on coupait ensuite en petits morceaux. Friandise collante s’il en est, mais délicieuse! Chez nous, la fin de novembre, c’était surtout trois anniversaires, le 24, le 27 et le 28, qu’on célébrait en une seule fête la plupart du temps. Avec les années, la famille s’est agrandie et il y a maintenant trois anniversaires de plus en novembre, le 8, le 12 et le 18.

Extrait des cahiers de la Bonne Chanson: La Tire, d'Albert Larrieu.

Extrait des cahiers de la Bonne Chanson: La Tire, d’Albert Larrieu.

Quand les premières bordées de neige nous arrivent en novembre, il me semble que ça atténue le côté sombre de ce mois. La neige… ça fait penser à Noël, au temps des Fêtes. Même maintenant, rien ne me fait plus plaisir que quand il neige le jour de mon anniversaire. C’est le plus beau présent que je puisse recevoir! Malheureusement, personne ne peut me le garantir, ce cadeau-là. Comme au dernier acte de la pièce, novembre réserve toujours quelques surprises!

© Madeleine Genest Bouillé, 22 octobre 2016

Mon vieux sac d’école

Autant le dire que le penser : je n’aime pas la rentrée! Du plus loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu hâte que l’école recommence. Ni pour moi, ni pour mes enfants quand vint leur tour. Je crois que j’ai trouvé d’où ça vient.  Voici,  j’étais en 4e ou en 5e année. Chose certaine, je n’étais plus dans la classe des petits –  la classe des  1ère, 2e et 3e années, celle de Mère Ste-Flavie. On m’avait acheté un sac d’école tout neuf pour la rentrée. Auparavant, j’avais eu des petits sacs en imitation d’imitation de cuir – du carton, en fait. Tout juste si ça faisait l’année scolaire. Mais là, j’avais un vrai sac qui devait me durer tout au long de mes années d’études… et il a duré!

Maison de mon grand-père, Edmond "Tom" Petit, en 1903.

Maison de mon grand-père, le cordonnier Edmond « Tom » Petit, en 1903.

C’était un énorme sac en vrai cuir noir, épais, sans aucune garniture, avec un compartiment pour le coffre à crayons et deux longues courroies. Je le revois encore, je sens son odeur : la même que celle qui régnait dans la boutique de cordonnerie de mon grand-père. Je me souviens de la texture rugueuse, laquelle s’est je l’avoue, adoucie à l’usure. Quand j’étais petite, je n’étais pas grande et ce sac presqu’aussi gros que moi me battait les mollets à chaque pas. J’étais très timide et je me sentais ridicule avec mon  grand sac pas comme celui des autres petites filles.

Mon sac a vieilli avec moi; il était moins disproportionné à mesure que je grandissais. Mais s’il ne s’usait pas, à la longue, il était devenu encore moins beau – l’avait-il déjà été? Il m’a suivie tout au long de mes années d’études. Et je suis bien certaine maintenant qu’il a effacé pour moi les quelques charmes que pouvait avoir la rentrée scolaire.

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Au couvent, nous portions un uniforme. Au cours des premières années, il s’agissait d’une robe noire à manches longues, avec jupe à plis plats, la seule décoration étant une fine bordure blanche, de dentelle ou de toile, à l’encolure et au bord des manches.  Il va sans dire que cette garniture se devait d’être toujours immaculée… il fallait donc la découdre souvent pour la laver et la repasser et ensuite la recoudre à petits points, à la main, vous pensez bien! Plus tard, nous avons porté la tunique grise avec chemisier blanc, manches longues, toujours, et le « blazer » marine.  C’était ce qui se faisait de plus moderne!

Mado 1951L’uniforme était pratique en ce sens qu’il avait l’avantage de réduire la possibilité de compétition en matière de vêtements pour les filles surtout. Ainsi, les seules  nouveautés qu’il nous était permis d’exhiber à chaque début d’année étaient les cahiers, crayons et surtout un nouveau sac d’école! Comme j’enviais mes compagnes de classe qui arrivaient en septembre avec un beau sac coloré, décoré de bandes contrastantes, un sac à la mode! J’ai bien essayé de trouver de bonnes raisons pour demander un sac neuf, mais ça ne marchait jamais. On me disait : « Tu as le meilleur sac qui soit, c’est du bon cuir de vache; ces petits sacs à la mode, c’est bon à rien! »  Hélas, dans mon temps, les parents avaient toujours raison!

À la fin de mes études, je l’ai caché bien loin au grenier. Quelques années après mon mariage, ma mère ayant trouvé le fameux sac, me le remit en disant d’un air amusé : « J’ai trouvé ton sac d’école… je me suis dit que tu devais bien vouloir le garder en souvenir ». J’avais laissé dedans  plusieurs livres et cahiers. J’ai fait disparaître le manuel de mathématiques et j’ai gardé les autres, surtout mon livre de Lectures littéraires, et mes cahiers de rédaction. Quant au sac, je l’avais si bien rangé que lors de notre déménagement en 1971,  je l’ai oublié!

C’est de l’histoire ancienne, mais il fallait que je vous la raconte. Si mes enfants ont manqué de motivations pour la rentrée scolaire, c’est assurément la faute de mon vieux sac d’école…

© Madeleine Genest Bouillé, 19 août 2016

(Tiré d’un texte rédigé pour l’un de mes livres).