Vive la tempête!

Dès mon réveil ce matin-là, je sens qu’il y a quelque chose d’inhabituel. Je n’entends passer aucune auto, pas non plus de camions, ni d’autobus. Par la fenêtre, je ne vois que du blanc. Il fait un vent à écorner les bœufs et on ne voit ni ciel, ni terre. C’est la tempête!

Alors je me rappelle les matins semblables du temps où mes enfants allaient à l’école. Tôt levés, ils écoutaient les nouvelles afin de savoir si les écoles seraient ouvertes ou fermées.  Quelle joie quand ils entendaient le nom de notre commission scolaire dans la nomenclature des établissements qui étaient fermés pour la journée! Personne ne retournait se coucher, non, on ne gaspille pas un congé imprévu en restant au lit. C’est qu’ils en trouvaient des choses à faire ce jour-là! Jamais en ces jours de tempête je n’entendais la phrase si décourageante :M’man j’sais pas quoi faire.  Aussitôt le déjeuner avalé, ils enfilaient leurs habits de neige, les bottes, les tuques et les mitaines et disparaissaient dehors pour un bout de temps. J’ai toujours aimé ces congés inattendus.  Je me réjouissais du plaisir de mes enfants… même s’ils ramenaient tout plein de neige avec eux quand ils rentraient et qu’on en avait pour la journée à faire sécher tous ces vêtements mouillés.  Mais que nous importait ces petits désagréments?… C’était congé!

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. ©Madeleine Genest Bouillé

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. ©Madeleine Genest Bouillé

Tout le monde était de bonne humeur, la maison résonnait de jeux et de rires, et comme ils avaient faim ces jeunes ogres! Généralement ces jours-là, on me réclamait pour le dîner une montagne de frites avec des saucisses ou un gros spaghetti. Il n’y avait pas d’horaire : on mangeait plus tôt ou plus tard que d’habitude, pas grave! Au cours de l’après-midi, chacun s’isolait avec un livre ou encore, ensemble, ils s’attablaient devant un jeu de société, comme le Monopoly. On dit que la mémoire embellit les souvenirs heureux, peut-être est-ce vrai, mais selon moi, le rappel de ces jours où la tempête nous gardait tous ensemble à la maison, font partie des pages les plus heureuses de notre histoire familiale.

J’aime toujours autant ces journées où l’hiver se déchaîne et nous envoie avec fracas ses neiges et ses vents en essayant de nous faire peur! S’il y a des rendez-vous, ils sont reportés évidemment. Les commissions vont attendre au lendemain; pas de réunions, ni aucune autre sortie non plus : il fait tempête!  Finalement ces congés forcés sont une halte nécessaire dans notre vie si bien ordonnée et réglée par l’horloge, le calendrier et l’ordinateur!

Vive la tempête qui nous permet de faire l’école buissonnière!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 février 2017

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. Madeleine Genest Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. Madeleine Genest Bouillé.

(Texte publié dans mon livre © Propos d’hiver et de Noël, 2012)

Les caprices de l’hiver

hiver-64-001Ma mère avait coutume de dire : « On tient pas le temps dans notre poche! » C’est là une vérité à laquelle on ne s’habitue jamais. C’est pourquoi on accorde foi à tous les pronostics, dictons et superstitions possibles, concernant les variations de la température. On aimerait tellement que le soleil brille aussi souvent qu’on le souhaite; et que la pluie ou la neige ne se manifestent qu’au moment précis où on en a besoin. Tout est bon pour étayer nos prévisions atmosphériques; le 3 fait le mois… si le 9 le défait pas! Il va faire froid cet hiver : les oignons ont la pelure épaisse. Il va neiger beaucoup : les nids de guêpes sont placés très haut. Quand le début de l’hiver est clément, on dit : les Avents commencent en mouton, ils vont finir en lion. Finalement Dame Nature déjoue toutes ces prédictions et n’en fait qu’à sa tête… en supposant qu’elle en ait une.

L’aventure dont je vous parle est arrivée en 1958 ou 59… Chose certaine, c’était vers le 15 décembre. La neige avait déjà atteint une bonne hauteur, car il en était tombé régulièrement depuis la fin de novembre. Habituellement, on allait couper les sapins vers la mi-décembre. Étant donné que le temps des Fêtes se prolongeait bien après le Jour de l’An, l’arbre de Noël devait rester vert au moins jusqu’à la mi-janvier.

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(Photo: Fernand Genest, coll. Madeleine Genest Bouillé).

Quand venait le temps de partir à la recherche des arbres de Noël, on y allait en famille! D’abord, c’était plus amusant et cela permettait d’apporter autant de sapins qu’il était nécessaire. Il faut dire qu’en ce temps-là, nos forêts nous paraissaient inépuisables. Et puis, il n’y avait pas de gaspillage : après les Fêtes, l’arbre dégarni deviendrait bois de chauffage!  Bien entendu, la cueillette des sapins dépendait aussi du nombre de personnes qui prenaient part à l’activité. Cette année-là, mon frère aîné Claude dirigeait l’expédition. Comme de raison, sa future épouse, Lorraine, était présente, mais je me rappelle surtout que ma tante Gisèle était de la partie. Tante Gisèle avait de l’énergie à revendre! Quand elle s’embarquait pour une aventure de ce genre, c’était du sport! Rien ne l’arrêtait, ni la neige, ni le froid! Pour nous rendre au bois, nous devions monter à travers champs jusqu’à la voie ferrée du Canadien National. À cette époque, je ne suis pas certaine que la petite gare était encore utilisée. Ensuite on grimpait la côte dite « du Grand Nord », et enfin, on se retrouvait à l’orée du bois.

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Hiver 1964, la rue Saint-Joseph (photo de Fernand Genest, coll. Madeleine Genest Bouillé).

J’ai écrit qu’il était tombé beaucoup de neige en ce début d’hiver. Ce jour-là, quand nous avions décidé d’aller chercher des arbres de Noël, nous ne pouvions certes pas évaluer l’épaisseur de la neige amoncelée. Mais une fois la décision prise, il aurait fallu une très grosse tempête pour nous empêcher de mettre notre projet à exécution. Le champ était comme une mer blanche où le vent avait dessiné des petites vagues dont nous devions enjamber les crêtes, aucune piste n’étant visible. Alors, évidemment, nous enfoncions dans la neige molle jusqu’aux genoux à chaque pas ou presque. Afin de nous rendre la marche plus aisée, mon frère, chaussé de raquettes, nous précédait avec le traîneau chargé des outils nécessaires pour couper les arbres. Il nous traçait ainsi un simulacre de sentier.  Enfin nous sommes arrivés à la gare, où nous nous sommes arrêtés, afin de nous reposer un peu. Même si nous ne pouvions pas entrer, sous le large auvent du toit, nous pouvions tout de même faire une pause à l’abri du vent. Il ne restait ensuite qu’à monter la côte, peu escarpée, et on atteignait enfin le bois. La neige étant moins épaisse, nous avancions plus facilement. Nous avons vite repéré les arbres qu’il nous fallait, pas trop gros, mais assez fournis. Nous n’étions pas difficiles; une fois rendus à la maison, si le sapin se révélait une épinette, ce n’était pas si grave. Une fois l’arbre décoré, on le trouvait toujours beau! Le bûcheron de service ayant terminé sa tâche, nous avons donc bien vite pris le chemin du retour.

Je dois dire que ce retour ne fut pas plus facile que l’aller, loin de là! Notre marche était ralentie du fait que nous devions traîner nos trois sapins, un pour tante Gisèle, un pour Lorraine et un pour chez nous. Le soleil baissait, il faisait plus froid et le vent qui nous faisait maintenant face n’était pas tendre pour nos visages, malgré les crémones dont nous étions entortillés et les tuques enfoncées jusqu’aux yeux. Pour se donner du courage, nous chantions des chants de Noël à tue-tête. Nous étions fatigués, alors un rien nous faisait rire. Ce qui reste le plus présent dans mon souvenir, c’est moins le froid, la neige et la longue marche, que justement ce plaisir fou que nous avions; un plaisir tout simple, comme il en arrive quand on ne le cherche même pas!

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Chez nous, dans la rue Johnson, 1959 (photo de Fernand Genest, coll. Madeleine Genest Bouillé).

La brunante était tombée… les fenêtres éclairées de la maison nous semblaient comme un phare qu’il nous tardait de rejoindre! Enfin rendus, débarrassés de nos vêtements enneigés, près du poêle à bois qui ronflait, comme il faisait bon alors de nous laisser envahir d’une douce torpeur! Heureusement, maman avait fait du thé, qu’elle tenait au chaud sur l’arrière du poêle. Ma mère avait des dictons et maximes pour une foule de choses, ainsi elle disait : « Faites pas bouillir le thé sinon les cavaliers viendront pas! »  Dans sa jeunesse, un amoureux ça s’appelait « un cavalier »! Je ne sais plus comment nous avons terminé cette journée… nul doute que nous n’avons pas dû veiller tard ce soir-là!

La moitié du mois de décembre était passée; avec toute la neige qui était tombée, nous étions convaincus que nous aurions un Noël blanc. C’était sans compter sur les caprices de l’hiver! Vers le 20 décembre, le temps s’est radouci, le ciel bas annonçait la pluie.  Nous espérions que ce ne serait qu’un redoux passager, mais non!  Effectivement, la pluie a commencé à tomber… une pluie fine, mais continue; on se serait cru au printemps! Il a plu ainsi presque sans arrêt pendant trois jours. Les enfants qui venaient d’entrer en vacances se désolaient; les traîneaux avaient l’air égarés près des galeries. Par terre, à côté de la maison, une carotte rabougrie et un vieux chapeau étaient les seuls témoins de ce qui avait été un bonhomme de neige! Les bandes de la patinoire entouraient un lac d’eau. C’était d’une tristesse!

Le 24 décembre, il n’y avait plus un brin de neige; elle était toute fondue! Le ciel était sans nuages… n’eut été de la température qui s’était refroidie, on aurait pu aller à la messe de Minuit en souliers. Mais, neige ou pas, c’était Noël! Au retour de la messe, dans les maisons décorées où flottaient les bonnes odeurs des mets préparés pour le réveillon, tout le monde a oublié la température dans la joie de la fête! Cette année-là, nous avions un sapin magnifique… à vrai dire, je suis presque sûre que c’était une épinette!

© Madeleine Genest Bouillé, 2012

(Texte tiré de Propos d’hiver et de Noël, 2012.)

C’est la première neige…

hiver-2008-059C’est la première neige,
Avec son froid cortège,
Qui blanche, nous assiège
De ses duvets qui recouvrent le sol.
Elle tombe et retombe
Le grand chêne succombe
Et rejoint dans la tombe
L’adieu des bois où fuit un dernier vol.

 La première fois que j’ai entendu cette chanson, j’étais toute petite. Chaque année à la même époque, on me la chantait. J’ai donc fini par l’apprendre, mais je ne l’ai jamais vue écrite. Les couplets sont sur le même air que le refrain; une valse à trois temps, pas trop rapide, justement le genre de musique qui convient si bien pour  bercer les enfants…

Mon frère Roger en 1949.

Mon frère Roger en 1949.

Le grand chêne succombe et rejoint dans la tombe l’adieu des bois où fuit un dernier vol… En grandissant, j’ai appris les paroles de la chanson et je me souviens que ces dernières lignes du refrain m’impressionnaient beaucoup. Je les trouvais tristes et je ne comprenais pas le rapport entre cette neige tant attendue et la tombe, l’adieu des bois.  Mais la chanson était belle et je l’aimais quand même. Quand nous étions enfants, la première neige était quelque chose de merveilleux, une joie qu’on espérait depuis longtemps, pour dire le vrai, depuis la chute des feuilles! Je me souviens d’un automne où la neige tardait un peu trop pour nous, qui avions tellement hâte de sortir vêtements d’hiver et traîneaux. Un matin, on vit que le sol était blanc. Ce n’était qu’une mince couche très légère, diaphane par endroits. On croyait que c’était de la neige. Maman tenta de nous ramener à la réalité; ce n’était qu’une grosse gelée blanche. Mais nous, on voulait aller jouer dehors! Maman, se disait sans doute que, ne trouvant pas grand-chose à faire sur cette terre gelée à peine blanchie, nous rentrerions bien vite. Évidemment on ne pouvait pas sortir les traîneaux, et ce n’était pas avec cette mince pellicule de frimas que nous ferions un bonhomme. Mais nous avons joué quand même; nous ramassions soigneusement cette manne qui fondait  vraiment trop vite, et nous en faisions des petits tas, qui ont, ma foi, peut-être duré quelques heures… jusqu’à ce que le soleil les fasse disparaître.

hiver-2008-043La neige tourbillonne
Elle tombe à flocons.
Pour nous elle chantonne
Des refrains, des chansons.
Elle revêt la terre
De givre et de frimas
Et le vent bien triste, erre
Sur nos champs ici-bas.

On ne voulait pas manquer la première neige. Et un beau matin, elle tombait enfin pour notre plus grande joie. Quel plaisir de sortir justement quand la neige tourbillonne et qu’elle tombe à flocons! Je crois que tous les enfants aiment goûter les cristaux qui viennent se poser, froids et doux, sur la langue. Qu’elle était belle, blanche et toute neuve, cette neige! J’avais un frère qui, plutôt que de se rouler dans la neige et d’en faire des balles et des bonhommes, préférait se tenir immobile, face au vent. Et là, il laissait les flocons caresser son visage tourné vers le ciel. Il contemplait le décor blanc et il pouvait rester ainsi de longues minutes… À quoi rêvait-il? Lui seul le savait. Mais il semblait tellement en communion avec les éléments. La neige, le vent, la pluie, les orages… chaque phénomène météorologique le fascinait. Pour lui, la nature était le plus merveilleux livre qui soit. Il a passé sa vie à s’en repaître.

Mes frères Fernand, Georges et Florent en 1950 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Mes frères Fernand, Georges et Florent en 1950.

Quand enfin la neige avait tout recouvert et que la couche ouatée semblait signifier que l’hiver était arrivé pour de vrai, on disait : « C’est la neige hivernante, c’est sûr! Il en est tombé assez pour blanchir la terre. » Comme preuves à l’appui, il y avait plusieurs maximes supposément infaillibles. D’abord il fallait que ce soit la troisième neige tombée au sol depuis le début de la saison. Ensuite, il fallait que la couche de neige soit suffisamment abondante pour blanchir la terre complètement. De plus, il devait s’être écoulé un mois depuis les premiers flocons. Et quand l’une ou l’autre de ces remarques s’avérait inexacte, on disait : « C’est l’exception qui confirme la règle! »

Le soir de la première neige, avant d’aller nous coucher, nous regardions par la fenêtre la nuit plus claire de tout ce blanc et le vent bien triste, pouvait errer sur les champs… nous nous endormions en rêvant de la fête de Noël qui approchait, puisque la neige et Noël étaient pour nous, indissociables.

hiver-2008-046Sa blancheur éclatante
S’étale devant moi.
Sa robe éblouissante
Me cause un doux émoi
C’est l’hiver qui s’avance
Majestueusement
Et l’automne en silence
Disparaît lentement.

Les enfants ont grandi. Certains ne sont plus de ce monde, nos parents non plus. Mais, en dépit des années qui auraient dû faire de moi une personne raisonnable et sensée, la blancheur éclatante et la robe éblouissante de la première neige me causent toujours un doux émoi… J’aime quand l’hiver s’avance majestueusement, même si je suis un peu triste de voir l’automne disparaître lentement. Alors je vais marcher sous les doux flocons et je chante tout bas la vieille chanson pour moi toute seule.

© Madeleine Genest Bouillé, 1er décembre 2016

(Texte original tiré de Propos d’hiver et de Noël, 2012.)

Félix l’a si bien dit…

Novembre, ce n’est pas un mois ordinaire; disons que malgré sa triste apparence, je lui trouve un certain charme. Un charme un peu fané, comme les fleurs séchées qu’on garde en souvenir entre les pages d’un livre… Je lis beaucoup; à la bibliothèque, je choisis parfois des livres d’auteurs que je ne connais pas, il m’arrive ainsi de faire des découvertes intéressantes, d’autres par contre sont décevantes. Mon choix est souvent dicté par un titre qui m’accroche, comme celui-ci par exemple : Zut! J’ai raté mon gâteau, un  roman lu récemment et qui s’est avéré très intéressant. Mais j’aime de temps à autre, me replonger dans mes vieux livres, dont ceux de Félix Leclerc, Adagio, Andante et Allegro. Ces lectures m’amènent invariablement au très beau texte intitulé « Les matins », dans Andante,  paru en 1944. Dans ce long poème en prose, Félix fait le tour de nos quatre saisons, qu’il préfère diviser en matins de cinq couleurs différentes, or, gris, blanc, noir et rouge. Pour exprimer ce que je ressens en ce mois de novembre, je vous cite quelques extraits des « matins gris ».

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« …Puis viennent les pluies d’automne, l’approche de la Toussaint, de l’Armistice. Ce sont les matins gris. Il faut faire un effort pour sortir du lit, pour sortir de la maison, pour sortir de la ville. Le ciel est sale… Il pleut lentement, quelques gouttes à la fois, tristement, sans arrêt. On a enlevé les jalousies vertes et on a posé les châssis doubles. On cache les vêtements d’été. C’est l’hiver qui vient. À quatre heures de l’après-midi, on allume les lampes, on évite la solitude. On se veut tous ensemble. On fait de la musique.  On se réunit le soir pour parler. Dans les hôpitaux, les malades disent aux gardes : « Reculez-moi de la fenêtre ». Il fait froid, on fait du feu. On pense à ceux qui coucheront dehors ce soir. On est résigné parce qu’il le faut bien, parce que c’est le mois de novembre. Le vent souffle, la vie est dure, c’est la montée. Plusieurs n’ont pas le courage de suivre, c’est pourquoi le mois des morts a été placé là. »

2012-01-18-065C’est bien vrai, novembre, ce n’est plus le bel automne flamboyant. Pendant quelques jours encore, selon les caprices de Dame Nature, les mélèzes seront les seuls, avec les bouleaux et les trembles, à nous offrir leur participation au festival des couleurs. Ils apporteront leur touche de vieil or, pour nous faire accepter en douce le passage à la dernière étape. C’est un « entre-deux », une espèce de temps suspendu. C’est important dans le calendrier des jours et dans celui de la vie aussi, ces étapes « entre-deux ». Ça nous empêche d’aller plus vite que les violons. Tout va tellement trop vite dans ce siècle qui se prend pour un autre, parce qu’il est le 21e ! On pousse sur les enfants pour qu’ils deviennent au plus vite « autonomes »… plus tard on se plaindra qu’on les perd de vue trop tôt. On ne prend plus le temps de penser, de réfléchir. Il faut aller vite, on est toujours rendus deux saisons plus loin, quitte à en perdre des bouts.

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J’essaie de prendre le temps de vivre chaque saison – celles de l’année et celles de la vie – avec ce que chacune a de particulier. Ainsi, novembre avec ses beautés, plus subtiles, moins éclatantes, mais bien présentes quand même. Surtout que les soirées sont plus longues, il faut en profiter;  il y a plein de choses à faire.  Ce n’est pas encore l’hiver avec son décor blanc et ses garnitures des Fêtes… mais on peut commencer à s’y préparer, c’est pour bientôt!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 novembre 2016

Le dernier acte

Peut-être est-ce parce que je suis née à la fin de ce mois, mais quand arrive novembre, j’ai l’impression d’assister au dernier acte d’une pièce de théâtre. On voudrait que ça continue, mais en même temps on sait bien que la finale s’en vient. On peut presque la prévoir. On se surprend à regarder l’heure… il reste 20 minutes; on voudrait que ça finisse bien, c’est tellement décevant une pièce qui finit mal! On est un peu anxieux. On regarde encore l’heure… plus que quinze minutes. Ces dernières scènes sont très importantes, les gestes, les répliques resteront dans notre mémoire et ce sont souvent ces minutes-là qui détermineront l’appréciation que nous garderons de toute la pièce.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Ainsi en est-il du mois de novembre. Pour moi, c’est un mois déterminant dans l’histoire de l’année en cours. Dans ma jeunesse, comme tous les enfants, j’avais hâte à ma fête et tout de suite après, je me permettais d’avoir hâte à Noël. Maintenant, j’aimerais mieux oublier mon anniversaire, mais je ne le puis, alors je m’occupe, je tourne, je vire, je commence une chose, puis une autre. D’ailleurs il y a tant à faire en cette fin d’automne, et comme en vieillissant on ralentit quelque peu, je commence donc plus tôt mes préparatifs pour la fête de Noël. Mine de rien, je vérifie la quantité et l’état des décorations, je trie mes recettes … je n’aime pas me faire dire : « Tu trouves pas que c’est un peu tôt? »

Certains livres de ma bibliothèque sont pour moi des références sur différents sujets. Et périodiquement, j’aime à en relire des passages, selon les saisons. C’est le cas pour le livre de Jean Provencher Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent. J’aime surtout le chapitre qui parle de l’automne. Ces jours derniers, je relisais donc les pages qui décrivent les multiples travaux que nos ancêtres devaient effectuer avant l’hiver.  Seulement pour les activités domestiques, on compte cinquante pages. Je vous fais grâce des nombreuses tâches décrites dans ce chapitre, mais à partir du moment où on s’apprêtait à quitter la cuisine d’été pour réintégrer la maison proprement dite, il y en avait de l’ouvrage à faire. Cela sans compter les récoltes et la conservation des aliments.

Écossage et mise en conserve des haricots. Source: blogue Potagers d'antan.

Écossage et mise en conserve des haricots. Source: blogue Potagers d’antan.

Cette lecture me ramène longtemps en arrière, quand j’étais enfant. Les travaux d’automne, c’était tout d’abord la fabrication des conserves et confitures; ce travail qui occupait presque tout le monde. Même les enfants pouvaient participer; je me souviens d’avoir coupé des légumes en petits morceaux pour les mettre ensuite dans des pots, je ne sais pas quel âge je pouvais avoir… je me revois aussi tournant une manivelle, peut-être celle de la sertisseuse. Une autre étape des travaux d’automne dont j’ai souvenance, c’est la pose des « châssis doubles ». Toutes les fenêtres, sauf celles de la façade, qui donnaient sur la route, avaient une moustiquaire, qu’on appelait un « scring » (pour screen, un des multiples mots anglais qu’on disait tout de travers). J’aimais ce changement de fenêtre, il me semblait qu’il faisait plus clair. Il fallait la plupart du temps remettre du mastic pour tenir les vitres en place et parfois, je me souviens qu’on mettait des lisières de coton « à fromage » pour empêcher l’air froid d’entrer par les interstices. Bien entendu, avant d’installer les fenêtres d’hiver, il fallait d’abord les laver et au besoin repeindre les boiseries. Tant qu’à y être, on lavait aussi les rideaux et les tentures. Je me rappelle aussi qu’on sortait les gros édredons et les manteaux qui n’allaient pas dans la laveuse, et on les mettait sur la corde à linge pour les aérer et enlever l’odeur des boules à mites. C’était tenace cette odeur!

Cimetière de Deschambault. Crédit photo: Patrick Bouillé.

Cimetière de Deschambault. Crédit photo: Patrick Bouillé.

Dans mes souvenirs, novembre c’était surtout le « mois des morts ». On entendait parler de l’Halloween, mais pour nous, ça ne voulait pas dire grand-chose. Je me rappelle qu’on découpait des masques épeurants à l’endos des boîtes de Corn Flakes, rien de plus! Nos fêtes du début de novembre étaient pas mal plus sérieuses. Le 1er du mois, c’était la Toussaint, une fête d’obligation, et comme son nom l’indique, la fête de tous les saints.  Le lendemain, Jour des Morts, il y avait encore une messe, cette fois pour tous les défunts de la paroisse. Autrefois, après cette messe, se tenait la Criée pour les âmes. Sur certaines photos anciennes, on peut voir le kiosque de la criée qui était placé au coin du cimetière, du côté de la rue de la Salle. Chaque jour de ce mois, on nous invitait à prier pour nos défunts. À 7 heures du soir, à l’église, on sonnait le glas pour nous rappeler de réciter les Paters; ces oraisons consistaient en cinq Paters, cinq Aves, cinq Gloria Patri et autant d’invocations pour les âmes des défunts. À cette heure en novembre, il fait déjà nuit, le glas résonnait lugubrement entre les lamentations du vent dans les arbres dépouillés; on ne pouvait absolument pas oublier les parents partis pour l’autre monde! Mon grand-père est décédé au début de novembre en 1955; nul besoin d’ajouter que ce mois-là, à chaque soir, je ne pensais qu’à lui! Si seulement je m’étais alors rappelé les blagues qu’il lançait et les airs joyeux qu’il fredonnait assis sur son vieux banc de cordonnerie, mais non, je le revoyais dans sa tombe, endimanché et solennel… Ça ne lui ressemblait pas vraiment.

Mon grand-père Edmond "Tom" Petit et ma grand-mère Blanche (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Mon grand-père Edmond « Tom » Petit et ma grand-mère Blanche (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Pour mettre un peu de joie dans ce mois plutôt sévère, le 25 novembre on fêtait la Sainte-Catherine. La tradition voulait qu’en ce jour, on fasse de la tire à la mélasse. On nous avait raconté à l’école que Marguerite Bourgeois, une des fondatrices de Ville-Marie, avait utilisé cette friandise pour attirer les jeunes amérindiennes et ainsi parvenir à leur donner quelques rudiments d’instruction. Je ne sais pas quel rapport il y a entre la dégustation de tire et la Sainte-Catherine, qui était jadis la fête des « jeunes filles prolongées »! Mais je me souviens de cet écheveau de belle tire blonde qu’on étirait tant et plus, et qu’on coupait ensuite en petits morceaux. Friandise collante s’il en est, mais délicieuse! Chez nous, la fin de novembre, c’était surtout trois anniversaires, le 24, le 27 et le 28, qu’on célébrait en une seule fête la plupart du temps. Avec les années, la famille s’est agrandie et il y a maintenant trois anniversaires de plus en novembre, le 8, le 12 et le 18.

Extrait des cahiers de la Bonne Chanson: La Tire, d'Albert Larrieu.

Extrait des cahiers de la Bonne Chanson: La Tire, d’Albert Larrieu.

Quand les premières bordées de neige nous arrivent en novembre, il me semble que ça atténue le côté sombre de ce mois. La neige… ça fait penser à Noël, au temps des Fêtes. Même maintenant, rien ne me fait plus plaisir que quand il neige le jour de mon anniversaire. C’est le plus beau présent que je puisse recevoir! Malheureusement, personne ne peut me le garantir, ce cadeau-là. Comme au dernier acte de la pièce, novembre réserve toujours quelques surprises!

© Madeleine Genest Bouillé, 22 octobre 2016

Élégie

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Les feuilles qui tombent au bois,
Comme des oiseaux dorés
Aux ailes blessées,
Emportent avec elles, les larmes, les joies,
Tout ce qui fut l’espace d’un été
Et restera au cœur, à jamais gravé.

Les feuilles qui tombent en silence,
S’étalent au sol en un tapis
Où pêle-mêle, regrets et nostalgie,
Forment tissu de souvenance…

automne-2015hiver-2016-011Étincelant un instant au soleil,
Les feuilles d’or ou de vermeil
Dans leur course folle,
Sont pareilles à ces paroles,
Qui s’accrochent à la mémoire
Y apportant lueur d’espoir.

Quand vous danserez, toutes belles,
Votre farandole dans le ciel,
Ô feuilles! Un matin vous viendrez
Hélas! mourir sur la terre gelée…

Feuilles qui tombez au bois,
Comme ces oiseaux dorés
Aux ailes abimées,
Emportez  mes rires, mes soupirs,
Tout ce que fut cet été passé,
Mais laissez-moi mes souvenirs!

© Madeleine Genest Bouillé, 11 octobre 1996

Les plaisirs démodés

Je ne sais pas si vous êtes comme ça, mais moi quand je me lève, j’ai toujours une musique qui résonne dans ma tête. Je n’aime pas beaucoup l’expression « ver d’oreille », mais ça exprime bien la chose. Ce n’est pas toujours une chanson à mon goût, et parfois ça dure, hélas, une bonne partie de la journée! Heureusement, il arrive que ce soit un air qui me plaise. Comme cette chanson de Charles Aznavour, Les plaisirs démodés, dont j’aime surtout le refrain. Il y a quelques jours, par un beau matin, j’avais justement cette chanson dans l’oreille. Et voici la réflexion que j’en ai tirée…

IMG_7013Parmi les « plaisirs démodés » de notre monde moderne, ceux qu’on trouve à la campagne sont pour moi irremplaçables. Les séjours à l’extérieur de Deschambault ne représentent en fait que quelques courts moments dans mon été. Les vraies vacances, ce sont donc toutes ces journées où, chez moi, je décroche de toutes les activités qui m’occupent de septembre à juin, sauf mon bénévolat à la bibliothèque, qui se continue en été, car la lecture, c’est un passe-temps qui ne prend pas de vacances. Mais tout de même,  il me reste amplement de temps pour profiter de ce que mon petit coin de pays m’offre à profusion!

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Qu’on se tourne vers le fleuve ou vers les champs environnants, c’est beau, vaste, l’air est bon; le vent toujours un peu là, contribue à rendre encore plus confortable les jours de grande chaleur. La verdure, les fleurs, les oiseaux, tout m’enchante!  Le chant des oiseaux surtout… Oh! Comme j’aime à me réveiller avec cette musique qui m’accompagnera tout le long du jour!

2011-08-21 095Nous avons chez nous beaucoup d’arbres, plantés un peu partout au hasard; quand on plante un petit arbre, on ne pense pas toujours à l’espace qu’il va prendre quand il sera grand; mais ça, c’est une autre histoire! Chacun de ces arbres offre gîte et couvert à une multitude d’oiseaux aussi variés qu’il y a d’espèces d’arbres. Nous n’avons pourtant ni « condos » somptueux, ni mangeoires sophistiquées à leur offrir. Non, ils viennent s’établir chez nous chaque été parce qu’ils aiment ça, je suppose. Et nous les admirons  quand ils construisent leur nid, nous assistons à leurs amours, on les observe quand ils poussent leurs petits hors du nid, afin de leur apprendre à voler. Ça me fait penser à la parole de l’Évangile : « Regardez les oiseaux du ciel… ils ne tissent, ni ne filent, et pourtant ils sont mieux vêtus que Salomon dans toute sa gloire. »

2012-01-18 010Savoir s’émerveiller du chant d’un oiseau, d’une fleur qui s’ouvre au soleil du matin, d’un papillon qui se pose un instant, du bruissement des feuilles dans l’air plus frais du soir, d’un lever ou d’un coucher de soleil, du fleuve qui coule à nos pieds, immuable et pourtant changeant et si vivant : tout ça fait partie du bonheur de vivre. Et les nuits d’été!  Quand il a fait chaud toute la journée et qu’à la nuit tombée, on sent que la nature, lasse de trop de soleil, s’amortit et se repose enfin, alors, en regardant les étoiles au ciel, on prie malgré soi. On est si petits et pourtant si importants, puisque toute cette immensité, toutes ces splendeurs ont été créées pour nous, pour notre usage, pour notre confort, pour notre bonheur.

photo © Jacques Bouillé 2014

La meilleure façon de remercier le Créateur pour toutes ces merveilles, c’est de profiter de cette saison si courte, d’en cueillir fleurs et fruits, et de faire en sorte que notre  « petite patrie » soit de plus en plus belle pour ceux qui y vivent aujourd’hui et ces autres qui y vivront demain!

Madeleine Genest Bouillé, 14 août 2016

(Tiré d’un texte paru dans Grains de sel, grains de vie).

Il était une fois un arbre

IMG_20160717_0001À chaque fois que j’ai dans la tête l’air du Vieux sapin, c’est à l’orme de notre vieille route que je pense. La chanson commence ainsi : « Que de fois au déclin de la vie, quand je songe aux beaux jours du passé… je reviens l’âme toute ravie, au nid charmant qui m’a tant bercé. » Tous ceux et celles qui ont grandi avec les Cahiers de La Bonne Chanson de l’abbé Gadbois, connaissent cette chanson. C’est une musique qu’on retient facilement et le refrain a juste assez de nostalgie pour qu’on s’y attarde… faisant ainsi des notes noires là où il y a des croches et des notes blanches où il y a des noires!

IMG_20160717_0006« Je revois la maison paternelle, le jardin, le vieux puits, la margelle, je revois sur le bord du chemin, l’arbre géant, le cher vieux sapin »… Quand je  pense à la maison  de ma jeunesse, l’arbre géant qui était au bord du chemin, sur le haut de la côte, était un orme. Le plus beau de tous ceux que j’ai connus. Maman disait que c’était lui qui tenait la côte. Il est vrai que ses racines s’étendaient certainement très profondément dans la terre, et très loin, traversant la route, jusqu’on ne sait pas où! Si aujourd’hui il faisait encore partie du paysage, en changeant quelque peu les paroles de la chanson, je pourrais lui fredonner les couplets : « Vieil orme à l’allure si fière, tu redis les vertus d’autrefois… Quand jadis, sous ta fraîche feuillée, près de toi la nombreuse nichée, grandissait comme en un coin des cieux, vivait en paix près de l’arbre ombreux. » Il était tellement grand, son feuillage s’étalait comme un immense parasol et il couvrait de son ombrage la route qui descendait jusque devant la vieille maison de pierre. Je crois qu’ils étaient aussi vieux l’un que l’autre. Ils se connaissaient depuis toujours…

IMG_20160717_0003« Vieil orme, dans ma mémoire, tu revis comme un arbre enchanté. Je te vois plein d’orgueil et de gloire, près du vieux gîte encore habité. Bien des soirs, sous la verte charmille, près de toi, réunis en famille, nous allions nous reposer un peu… et folâtrer sous le vieil orme ». Il en avait vu passer des gens, sur cette route qu’on appelait le chemin du roi, avant qu’on en construise un nouveau, moins abrupt et plus droit. Quand on montait la côte un peu vite, rendu au gros orme, on ralentissait le pas, pour souffler un peu, en profitant du magnifique point de vue sur le fleuve qui nous enchantait toujours!  Car voyez-vous, dans notre temps, il n’y avait que très peu d’arbres et seulement quelques chalets de chaque côté de la route du quai.

Puis un jour, plus personne ne se souvient à partir de quand, comme beaucoup de ses pareils, le gros orme a commencé à perdre sa bonne mine; il était malade, incurable! Ici et là, les branches séchaient et perdaient leurs feuilles… d’un printemps à l’autre, son feuillage s’amenuisait. Il était condamné. En contrebas, le champ qui séparait la vieille route de la nouvelle était marécageux. Au printemps, les grenouilles s’en donnaient à cœur joie sur ce terrain humide, et en hiver, comme il y avait un poulailler dans le coin, les renards  venaient chiper quelques poules effarées.  Et nous, quand nous étions enfants, en été, on y jouait au jeu qu’on appelait « en bas de la ville » et l’hiver, on glissait en  « traîne-fesse ».

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Mais il arriva ce qui devait arriver; le gros orme dépouillé rendit l’âme. Un promoteur ayant acheté le champ inutile dont personne ne voulait, coupa le vieil arbre, puis il remplit le terrain, qu’il divisa ensuite en lotissements. Quelques maisons s’élèvent maintenant où était jadis notre terrain de jeux!

Il était une fois un arbre… et je termine son histoire avec le refrain de ma chanson que je dois bien modifier un peu afin qu’il s’accorde avec les couplets : « Mon âme alors rayonne, et tout en moi chantonne… j’entends toujours le gros orme, qui redit son refrain… à la brise légère, il mêlait sa voix claire, et son hymne joyeux : c’était l’écho des aïeux! » Sans oublier le point d’orgue sur le mot « aïeux », pour une belle finale!

© Madeleine Genest Bouillé, 17 juillet 2016

N.B. Les photographies de la rue Johnson datent de 1956 et sont tirées de ma collection privée.

J’écoutais au bord de l’eau…

C’était par un des premiers beaux jours de juillet. Un de ces matins qui laissent présager une journée splendide, ensoleillée, avec juste quelques petits nuages, comme pour briser la monotonie de tout ce bleu. J’étais assise sur une grosse roche, près du fleuve; la marée montait,  ses vaguelettes poussées par un petit vent qui les faisait chanter. Et j’écoutais…

J’entendais comme un soupir. Et je cherchais d’où ça pouvait bien venir. Tantôt, le léger bruit semblait venir de gauche, à d’autres moments, de droite… mais qu’est-ce que cela pouvait-il bien être? Tout à coup, le soupir s’enfla et en même temps le vent devint plus fort. Le soupir devint voix et, chose incroyable, cette voix me semblait provenir d’un vieux bout de bois qui traînait sur la grève.

Et voici ce que j’ai entendu en ce matin de juillet…

« Tu ne te souviens pas de moi; évidemment, j’ai tellement changé… il ne reste de moi que cette vieille planche et quelques clous. Il est loin le jour où j’ai été apportée ici sur la grève, toute neuve, fraîchement peinte en vert. Je devais absolument porter cette couleur, car vois-tu, je n’étais pas seulement une chaloupe de promenade, non, je servais aussi – surtout devrais-je dire – pour la chasse aux canards, l’automne. Comme j’étais pimpante alors! Les beaux jours d’été, j’avais une manière de me balancer fièrement sur l’eau à laquelle vous ne pouviez pas résister. C’était comme une invitation. Nous en avons fait des promenades ensemble, toi, lui, les enfants… vous étiez ma famille, la seule que j’ai connue.

chaloupeMais commençons par le commencement. Celui qui m’a mise à l’eau a d’abord choisi deux belles planches de pin, les plus belles, qu’il conservait justement dans son hangar en prévision de ma construction. Le chantier était dehors, en avant du hangar. Il attacha ensemble le bout des planches à ce qui devait être la pince, puis installa la planche qui fermerait l’arrière. Il arrosait le bois abondamment pour permettre aux planches de s’assouplir et ainsi donner à la chaloupe sa belle forme arrondie. Puis il mesura, cloua, scia, rabota… tempêta un peu, beaucoup parfois, quand ça n’allait pas à son goût. Mais il recommençait, mesurait de nouveau, préparait ses morceaux pour le fond, les sièges, les bordages. Comme il avait toujours plusieurs choses à faire en même temps, il y avait des jours où j’attendais en vain qu’il daigne s’occuper de moi. Mais petit à petit, j’ai commencé à prendre forme, seize pieds : juste la bonne longueur; trois sièges, dont celui d’en arrière qui se prolongeait sur les côtés. Un cran à l’arrière pour faire tenir le moteur,  les tolets solidement installés pour  les rames. Et enfin, la peinture. Un vert pas trop vif, car il faut que la chaloupe se confonde avec les branchages de la cache.

IMG_20160524_0001Vint enfin le jour où l’on m’a descendue sur la grève; puis, profitant de la marée montante, lui et ses fils m’ont poussée à l’eau. Quelle sensation extraordinaire! Je n’oublierai jamais cela.  Je flottais… je me berçais sur l’eau, comme j’étais heureuse! Je voyais au loin dans le chenal naviguer des bateaux auprès des quels j’avais l’air d’une coquille de noix, mais que m’importait! Il emmena d’abord les garçons faire un tour, ils étaient habitués et savaient se tenir à bord, bien assis chacun à la place qui lui était assignée. Le lendemain, c’était encore une belle journée. Ce fut ton tour d’essayer la nouvelle chaloupe avec la petite dernière. Elle avait à ce moment-là un peu plus d’un an si je me rappelle bien. Elle se tenait près de toi, très droite. Et nous voilà partis! On a d’abord longé la côte d’assez près, puis pointant vers le large, on fila… Je répondais bien aux manœuvres, et j’avais un bon conducteur. Quelle belle promenade! Depuis ce jour, la petite a toujours adoré aller sur l’eau par les beaux jours d’été, et aussi en automne. Quand elle a commencé à peindre, elle disait que ça l’inspirait; son génie créatif puisait sans doute dans ces balades entre ciel et eau l’espace dont il avait besoin pour s’épanouir.

J’ai dit que j’étais une chaloupe surtout construite pour la chasse aux canards… Je raconterai donc la suite de mon histoire une autre fois! »

© Madeleine Genest Bouillé, 24 mai 2016

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Vent de printemps

photos jacmado 080806 108Dans notre beau village, c’est bien simple, il vente tout le temps! Du plus loin que je me souvienne, le matin, quand on regarde dehors, ce n’est pas pour demander « Est-ce qu’il vente ?», mais bien plutôt, « De quel côté est le vent? ». Et le printemps étant par définition, tout comme l’automne, une saison de transition, de changement, le vent en est  l’élément essentiel.

Inondations de juin 2015.

Inondations de juin 2015.

J’aime le vent, quand il s’amuse avec le fleuve, lui donnant du mouvement, du relief, de la couleur. Ses eaux passent du gris clair au bleu foncé, en passant par le turquoise, avec des vagues crêtées de blanc. Je ne me lasse pas de contempler ce spectacle… Mais il arrive que le vent devienne méchant. Par exemple, quand il se déchaîne et qu’il est accompagné de pluies torrentielles, comme ce que nous avons connu en juin de l’année dernière. Nous ne pouvons alors rien faire de plus qu’attendre et espérer que cette tempête ne dure pas trop longtemps, et surtout que les dommages ne soient pas trop graves. Depuis des siècles, les humains ont voulu dompter la nature et la soumettre à leurs lois; ils ont tellement bouleversé la terre et l’atmosphère, il était inévitable qu’un jour, les éléments se rebellent et, en quelque sorte, se vengent. On nous dit qu’il est encore temps de limiter les dégâts… Ça va prendre plus que de la bonne volonté!

En temps normal, j’aime le vent du printemps; c’est la nature qui fait son grand ménage. Elle balaie les feuilles mortes oubliées, les aiguilles de l’arbre de Noël qui parsèment la cour depuis la fonte des neiges, émaillées ici et là de quelques glaçons argentés qui brillent au soleil. Dame Nature, munie de son super aspirateur, ramasse toutes les traîneries : « cocottes » de pins, branchettes, plumes d’oiseaux, débris de nids tombés des arbres, bouts de papier, un bouton… une clé perdue un soir d’automne où il faisait un grand vent froid et qu’on avait les doigts gelés!

216Il est parfois un peu trop frais, ce vent du printemps, soit qu’il nous vienne du nordet –  ma mère disait ironiquement : « Le vent de nordet, de quelque côté qu’il vienne, il apporte toujours du mauvais temps! » ou qu’il vienne du nord et charrie des restes d’hiver. Mais c’est un bon vent, dérangeant à certains moments, bruyant, mais sain. Comme on dit, « il brasse  la cage »!  Il remet les choses (et les gens) à l’endroit. Comme un vrai grand ménage printanier.

photos jacmado 080806 112 (2)J’ai souvent dit – à chaque printemps, je crois – combien j’aime cette saison. Le printemps, c’est le seul politicien qui tient ses promesses; il nous promet qu’on s’en va vers le beau temps, le soleil, l’été, et voyez : beau temps, mauvais temps, les bourgeons ferons des feuilles, les fleurs et les plantes de toutes sortes pousseront, les oiseaux resteront avec nous tant que ne sera pas venu le moment prévu pour le départ. Le printemps porte en lui tous les espoirs; même s’il nous décoiffe un peu, vivons chacun des jours qu’il nous offre comme un cadeau du ciel!

© Madeleine Genest Bouillé, 3 mai 2016