La Saint-Jean-Baptiste, d’hier à aujourd’hui

Au Québec, on fête saint Jean-Baptiste depuis très longtemps. Déjà en 1834, le 24 juin avait été déclaré fête des Canadiens-Français. Au Québec, c’est devenu un jour férié en 1920. Et le gouvernement du Parti Québécois de René Lévesque a décrété le 24 juin « Fête Nationale des Québécois » en 1977. Depuis 1984, le Mouvement National des Québécois  est l’instigateur  de la Fête nationale du 24 juin… Dans tout ça, qu’a-t-on fait de saint Jean-Baptiste, le précurseur de la venue du Messie, dont c’est d’abord la fête?

Parade de la Saint-Jean-Baptiste, Deschambault, 1955 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé)

Parade de la Saint-Jean-Baptiste, Deschambault, 1955 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé)

La fête de la Saint-Jean chez nous, c’est une longue tradition. Quand nous étions enfants, je me souviens qu’à quelques reprises, la fanfare du Royal 22e Régiment venait nous offrir un concert sur le perron de l’église. Tout un spectacle! Il y en avait du monde, surtout que c’était gratuit. Je me rappelle qu’une fois – peut-être parce qu’il pleuvait –  nous étions allés entendre la célèbre fanfare au Garage Gauthier (aujourd’hui la caserne des pompiers). Je me suis toujours demandée ce qu’on avait fait des autobus… ça ne se plie pas facilement dans un coin! Ces événements étaient organisés par la Société Saint-Jean-Baptiste, organisme qui était alors très actif à Deschambault. Il y a eu pendant quelques années une parade qui avait lieu au cœur du village, la photo reproduite ici date de 1955; le char allégorique avec un petit saint Jean-Baptiste aux longs cheveux blonds, était stationné entre le cimetière et l’église en attendant le moment du départ. Vers la fin des années 50, il y eut entente entre les différentes localités dotées d’un conseil de la SSJB à l’effet que la parade aurait lieu chaque année dans une paroisse différente. C’est pourquoi vous pouvez voir la photo du char allégorique de Deschambault en 1968, alors que la parade avait lieu à Portneuf. Ce char représentait la chasse aux canards, avec le phare de l’Îlot Richelieu.  Il avait été fabriqué par mes frères et leurs amis; on reconnaît le conducteur, Denis Trottier.

Char allégorique de la parade de la Saint-Jean-Baptiste, Portneuf, 1968 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé)

Char allégorique de la parade de la Saint-Jean-Baptiste, Portneuf, 1968 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé)

Déjeuner des Fermières au Vieux Presbytère, 1980 (coll. privée, Madeleine Genest Bouillé).

Déjeuner des Fermières au Vieux Presbytère, 1980 (coll. privée, Madeleine Genest Bouillé).

Dans les années 70, la Société du Vieux Presbytère a commencé à s’impliquer dans l’organisation des fêtes de la Saint-Jean. En 1976, les Fermières ont eu l’idée d’offrir le déjeuner, à l’intérieur du Vieux Presbytère – il y avait aussi des tables dehors, entre les murets de pierre. Ce déjeuner qui avait lieu juste avant la messe est devenu l’une des activités les plus prisées du 24 juin. Surtout que c’était suivi de la Criée… autre activité  qui devint vite très populaire. Il faut dire que les organisateurs, et surtout le crieur, en  mettaient plein la vue, et plein le perron de l’église! Un petit cochon pouvait aller chercher un très bon prix! Et que dire du pain en forme de fleur de lys, de la tarte aux pommes ou du sucre à la crème. Parmi les amateurs de la Criée, certains s’amusaient à faire monter les enchères. C’était devenu un spectacle à ne pas manquer! À la création du Comité de Coordination des Loisirs en 1978, on forma un comité de la Fête Nationale avec un représentant de chacune des associations locales. Plus tard, ce comité a été incorporé. Différentes activités étaient alors présentées selon la participation des organismes. Des festivités d’il y a 40 ans, il subsiste le déjeuner, la messe, la criée, la soirée musicale et le feu de joie. Depuis déjà plusieurs années, une randonnée à vélo pour les jeunes, un dîner « hot dog », des jeux gonflables et un spectacle pour les enfants, offert par la Biblio du Bord de l’eau, sont venus s’ajouter, avec un chapiteau, coûteux, mais indispensable, pour assurer la tenue des activités quel que soit le temps qu’il fait.

Le "Crieur" en action, sur le perron de l'église, 1980 (coll. privée, Madeleine Genest Bouillé).

Le « Crieur » en action, sur le perron de l’église, 1980 (coll. privée, Madeleine Genest Bouillé).

Chaque année, le Mouvement National des Québécois lance un thème pour marquer la tenue des festivités de la Fête du 24 juin. Certains de ces thèmes sont plus significatifs que d’autres. Je pense entre autres à ce thème: « Tout le monde est important », ou encore : « Des gens qui font l’histoire », ou cet autre : « À la nôtre! ». Cette année, on nous invite à fêter avec « Québec, de l’art pur ». Ces thèmes se rejoignent et surtout, nous rejoignent. Le 24 juin, nous fêtons notre appartenance à ce Québec que nos ancêtres ont bâti; vraiment, de l’Art Pur! Mais, encore plus, nous célébrons notre présence, notre survivance sur cette terre qui fut d’abord la Nouvelle-France. Nous faisons partie d’une longue suite de gens formant une famille, une race, et notre histoire, c’est la suite de celle qui a été vécue par tous ceux et celles qui nous ont précédés, de même que c’est le prélude à l’histoire de ceux qui nous suivrons.

Racontez à vos enfants, vos petits-enfants, les souvenirs des fêtes de votre enfance, ceux de votre folle jeunesse. Racontez-leur les fêtes qui réjouissent encore votre mémoire. « Nous sommes tous importants » et « Ces gens qui font l’histoire », ce sont nous!

À la bonne vôtre!

© Madeleine Genest Bouillé, 16 juin

Criée sur le perron de l'église Saint-Joseph, Deschambault (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Rassemblement pour la Criée sur le perron de l’église Saint-Joseph, Deschambault (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Nos belles folies

500x675_3142Quand les mille feuilles avaient  MILLE  feuilles…
Quand les « Mae West »  étaient aussi dodus
Que l’actrice dont c’était le nom.
C’était l’bon temps, garanti!
Pas croyable, tout ce qu’on pouvait acheter
Pour seulement 10 cents :
Un Coke, un  Cream Soda, un sac de chips
Un sac de « pinottes », une Orange Crush;
10 cents, rien que ça!

IMG_20160521_0001Quand la télévision est arrivée,
Ceux qui l’avaient étaient privilégiés.
Mais, je vous dis qu’ils en avaient d’la visite!
« Sa Mère, ôte ton tablier, vite! »
« Ben non, Pépère, pas besoin de se changer,
Ils nous voient pas, là, les acteurs dans la télé! »
La Famille Plouffe, la Soirée de lutte, Cap-aux-Sorciers,
Radisson, le Survenant, Un homme et son péché…
Et le dimanche soir, le « Ed Sullivan Show ».
C’est là qu’on a vu ELVIS pour la première fois!
On en revenait pas… Il était donc ben beau!
Puis quand il a chanté « Love me tender », Ah là!
On a braillé, je vous le cache pas!

IMG_20160521_0002Quand on allait au Mois de Marie,
Par les beaux soirs de mai à 7 heures et demie.
Ça nous faisait une bonne raison
Pour rentrer plus tard à la maison.
C’était donc plaisant d’être catholique!
Aller à l’église, le soir, c’était ben pratique.
En revenant on se pressait pas…
Derrière le Vieux presbytère on cueillait du lilas…
En faisant semblant de pas voir passer les gars…
Mais on parlait fort, on riait aux éclats.
On chantait : « Ave Maris Stella, des springs, pis des matelas »
On virait les cantiques à l’envers, plus folles que ça, ça se peut pas!

Quand au mois de juin, on s’installait sur la galerie pour étudier,
En regardant passer les autos, les bicycles, surtout les gens à pied.
On étudiait très fort : la géographie, l’Histoire du Canada,
1759, 1760, Wolfe, Montcalm… « Aïe c’est qui celui-là? »
On repassait tout le Régime français en écoutant le beau Paul Anka.
Paul_Anka_1961Sur le petit transistor : « Put your head on my shoulder… »
« C’est quand donc, l’intendant Talon? »
« Je le sais-tu moi, on écoute la chanson. »
Les soirées étaient douces… l’été était déjà là.
On avait tellement pas le goût de rentrer,
Plus studieuses que ça, ça se peut pas!

Quand enfin arrivait les vacances d’été,
On posait pas la question : « Où on va cette année ?»
On prenait des marches, on s’assoyait sur la galerie pour placoter.
On allait quelquefois visiter les « mononcles »,  les « matantes », la parenté.
On ne manquait pas une partie de balle;
On encourageait de notre mieux les équipes locales.
On criait quand il le fallait même si on suivait pas le jeu…
On savait le nom des joueurs : Ti-Pierre, Ti-Jacques, Ti-Zon, Ti-Bleu…
Des fois, il venait un cirque : le Cirque Touzin, ça s’appelait.
C’était la grosse foire! Les jeunes, les vieux, tout le monde y allait.
Il s’en est fait, des belles rencontres, à côté de la Grande Roue!
Entre deux tours de manège, au son de « Waterloo »…

cornet-frites-froisse-blanc-1-640Quand on allait à « la roulotte à patates frites »
Chez M. Audet, pour 25 cents on avait un Coke, une frite.
Dire qu’y en a qui disent que la friture, ça pue!
Maintenant  il n’y a plus que le parfum du B.B.Q.!
La bonne odeur des frites, un peu vinaigrée…
C’est l’arôme même de nos belles années!
On revenait en placotant, en riant, en chantant…
Les gars en bicycle nous criaient, chemin faisant…
À notre tour, on les reluquait sans en avoir l’air
On se pensait bonnes, puis on était donc fières!

Quand les milles feuilles avaient MILLE  feuilles…
La vie était un énorme mille feuilles!
Qu’on dégustait sans s’écœurer,
Qu’on émiettait sans y penser,
Qu’on gaspillait sans se soucier,
Comme si ça allait toujours durer.
Quand les mille feuilles avaient… MILLE feuilles!

Écrit  un beau soir du mois de mai au début des années 2000

© Madeleine Genest Bouillé

Dans le bon vieux temps

IMG_20160422_0001C’était en mai 1982, lors d’une soirée de l’Âge d’Or – aujourd’hui la Fadoq, j’avais mimé cette chanson Dans le bon vieux temps, avec un compagnon de la chorale. À l’époque, nous devions nous poudrer les cheveux pour rendre le « Vieux » et la « Vieille » plus crédibles… Voici cette chanson de deux vieux qui se rappellent de doux souvenirs :

Lui :
« Dis-moi, te souviens-tu ma vieille, du temps où je te courtisais
Ma tuque par-dessus l’oreille, chez ton vieux père, j’arrivais.
Au trot de ma vieille jument, veiller chez vous à Saint-Constant. »

Elle :
« Je m’assoyais près de la fournaise, et bien émue, je t’attendais
Toi, tu plaçais toujours ta chaise, près de la mienne quand t’arrivais.
Bien trop proche, nous disait maman, qui chaperonnait en tricotant. »

Lui :
« Quand ta mère piquait son somme, avec son tricot sur ses genoux.
Et que ton père, le brave homme, fumant sa pipe, cognait des clous
Moi, je profitais de ce moment, pour t’embrasser bien tendrement »

 Elle :
« Tu m’embrassais, vieil haïssable! Et ta barbe me piquait le menton.
De t’arrêter, j’étais pas capable. Pour dire franchement, je trouvais ça bon.
En se réveillant, papa te chassait. Au bout de trois jours, tu revenais. »

Refrain :
« Dans le bon vieux temps, ça se passait de même
Ça se passait de même dans le bon vieux temps. »

IMG_20160421_0003Ce refrain me tourne souvent dans la tête quand je regarde mes photos du temps passé. Il est vrai que pendant longtemps, les fréquentations sérieuses, c’est-à-dire celles qui devaient conduire au mariage, étaient la plupart du temps les seules qui étaient tolérées dans les bonnes familles. D’abord faisons la distinction entre le « soupirant » et le « prétendant »; le soupirant n’a pas encore été admis à fréquenter la jeune fille qu’il convoite, alors il soupire! Tandis que le prétendant a reçu la permission « d’accrocher son fanal », comme on disait autrefois. Et il passe les « bons soirs » chez sa promise en observant les usages autant que les dix commandements de Dieu! Je reviens à l’essentiel de mon propos. Le soupirant devait demander aux parents la permission de courtiser  leur fille, en promettant que c’était pour le « bon motif ». Et alors commençaient les visites  du prétendant, les bons soirs, soit les jeudis, samedis et dimanches, ou autres, selon  les habitudes de la famille. Évidemment, même si les amoureux étaient seuls dans le salon, la porte restait ouverte et il y avait toujours un chaperon assis pas loin, pour avoir l’œil sur ce qui se passait, ou plutôt pour s’assurer qu’il ne se passait rien! Souvent le dimanche après-midi était réservé aux visites dans la parenté; il va sans dire que les jeunes gens  étaient accompagnés d’un frère ou d’une sœur, chaperonnage oblige! Des anecdotes à ce sujet laissent croire que les couples devaient souvent « acheter » la complicité des chaperons. Quand les surveillants étaient des enfants, des friandises pouvaient faire l’affaire. S’il s’agissait d’un frère ou d’une sœur plus âgés, il fallait parfois promettre  diverses récompenses, allant du prêt d’un bijou ou d’autre chose, jusqu’à l’échange d’une corvée plus ou moins désagréable. Les futurs mariés devaient ruser pour s’octroyer  quelques moments d’intimité. Les longues fréquentations étant déconseillées, on peut en déduire que les fiancés s’épousaient souvent sans vraiment se connaître. Mais, dans « le bon vieux temps », quand on se mariait, c’était pour la vie!

MadoJacDans ma jeunesse, quand on veillait « au salon », le chaperonnage était plus discret. Et dans la plupart des familles, on pouvait sortir ensemble, sans être accompagné… avec seulement promesse de se bien conduire et ne pas rentrer trop tard! Mais cette pratique variait selon les familles, ainsi j’ai souvenance d’avoir joué le rôle du chaperon, avec une amie, dont la mère était plus sévère. Quand la grande sœur allait au cinéma avec son prétendant, parfois nous devions les accompagner… Nous trouvions alors cette tâche très agréable! Et j’étais loin de penser que quelques années plus tard, ce serait mon tour de sortir avec un garçon en souhaitant ne pas être obligée de subir la présence d’un chaperon.

De mon temps, quand le soupirant arrivait chez les parents de sa bien-aimée, il était de bon ton de passer tout d’abord un moment dans la cuisine avec les futurs beaux-parents  pour jaser de choses et d’autres… et parfois aussi de prendre le temps de jouer une partie de cartes. Cet intermède donnait ainsi aux parents de même qu’au jeune homme l’occasion de faire mutuellement connaissance. Je me souviens cependant d’un certain soupirant qui écourtait autant que possible cette entrée en matière, où il se sentait comme observé à la loupe… Mais il fallait bien passer par là, ça faisait partie du processus de fréquentations « pour le bon motif »!

Ah oui, vraiment! Ça se passait de même dans le bon vieux temps!

© Madeleine Genest Bouillé, 25 avril 2016

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L’économie domestique, 2e partie

IMG_20160408_0003Dans le deuxième volume, on apprend d’abord que « la maison est l’abri et la protection de la famille. » On n’y va pas par quatre chemins : « L’individualisme, le communisme, la fascisme, le nazisme, le capitalisme mal compris et mal exercé sont les ennemis de la maison et de la famille. » Dans le premier chapitre, on nous met tout de suite sur la défensive : « La sécurité matérielle et économique exige des travaux de défense contre les multiples attaques qui sont d’abord, l’alcoolisme, la tuberculose, les maladies contagieuses, l’absence d’hygiène. Ensuite vient l’excès dans les amusements, les veillées trop nombreuses et trop prolongées, les sports qui s’attaquent aussi à la santé, les bavardages et les commérages. Un péril plus grand encore, peut-être, c’est la pression des réclames et des annonces… qui se traduit par la démangeaison d’acheter et de renouveler trop tôt certains articles. » On pointait déjà du doigt les ravages de la publicité abusive!

L’alternative à ces périls qui menacent la famille, c’est l’offensive pour promouvoir le bien. Je résume; c’est d’abord la morale et la religion : « Les parents feront la lutte à l’immoralité, en assurant  la bonne observance au jour du Seigneur… La famille fera une large part aux bonnes et simples vertus naturelles, telles la franchise, la sincérité et l’honneur. La vie intellectuelle mérite aussi une offensive. On donnera aux enfants l’avantage de fréquenter longtemps les écoles, le goût de la lecture; dans les programmes radiophoniques, on accordera la préférence aux causeries instructives. On surveillera les conversations pour en éliminer les propos risqués; les « illustrés » de certains journaux seront relégués à l’ombre ou jetés à la poubelle… »   

IMG_20160405_0005On en vient enfin à l’organisation matérielle de la famille. Un horaire journalier est proposé, qui ne laisse aucune place à l’improvisation : « 6h00 : lever des grandes personnes, toilette, prière et préparation du déjeuner.  6h30 : déjeuner des grandes personnes et lever des enfants. 7h00 : départ du père pour l’ouvrage. Les enfants déjeunent puis repassent leurs leçons. Les jeunes filles lavent la vaisselle du déjeuner. La mère lave les bébés et fait leur toilette. 7h30 : déjeuner des bébés suivi de leur « somme ». 8h00 : départ des enfants pour l’école et nettoyage quotidien des chambres par les jeunes filles, autre travail pour la mère. 9h00 à 10h30 : occupation hebdomadaire (voir le tableau suivant). 10h30 : préparation du dîner. Midi : dîner. 12h30 : lavage de la vaisselle, la mère couche les bébés. 1h00 : rangement de la vaisselle et de la salle à manger. 1h30 : toilette de l’après-midi.  2h00 : promenade des bébés, couture ou travail d’imprévu, les bébés sont confiés aux jeunes filles ou installés pour jouer à portée de la vue. 4h30 : retour des enfants de l’école. Goûter. Récréation au grand air. 5h00 : étude des enfants, la mère et les filles préparent le souper, le père revient du travail. 5h30 : souper des bébés et leur coucher. 6h00 : souper de la famille. 6h30 : lavage de la vaisselle, rangement de la cuisine et de la salle à manger, les enfants jouent. 7h30 : prière du soir en famille. Veillée dans la salle, les enfants font leurs devoirs, la mère et ses filles causent ou font quelque travail d’agrément. Le père lit son journal. Entre 9h00 et 10h00 : coucher de la famille. » Espérons que le père n’a pas été dérangé dans la lecture de son journal…

IMG_20160405_0003Le manuel décrivait ensuite l’horaire hebdomadaire de la maîtresse de maison. Cet horaire précis m’intriguait car il ne ressemblait en rien à ce que nous vivions chez nous, sauf le lavage du lundi… qui se prolongeait parfois le mardi!  « Lundi : lavage. Mardi : repassage. Mercredi : raccommodage et confection. Jeudi : Confection ou sortie pour emplettes et visites. Vendredi : ménage d’une partie de la maison : les chambres et le salon. Samedi : Ménage des autres pièces : salle, cuisine, chambre de bain, toilette, etc. » On ne parle évidemment pas du dimanche qui étant le jour du Seigneur, implique la messe, le dîner en famille; dans l’après-midi,  on reçoit ou on visite la parenté… et le soir on assiste aux Vêpres!

IMG_20160405_0007Un des derniers chapitres parle des RÈGLES DU SAVOIR-VIVRE. L’enseignement s’étend du « salut à la poignée de main, de la politesse au téléphone, et on en vient aux réceptions et relations de société. » On y parle des « soirées intimes », des « fêtes de famille », des « visites » et même de la « correspondance ». L’étiquette était très précise selon qu’on recevait des parents, des amis intimes ou d’autres personnes, et c’était la même chose pour les visites. Je vous livre un extrait du paragraphe « soirées intimes » : «Ces réunions révèlent plutôt un caractère d’intimité. Tout en causant on partage le temps agréablement entre les travaux à l’aiguille, les jeux d’esprit, le chant et la musique; des cartes et des tables sont à la disposition des amateurs de jeux. »

Au chapitre des Fêtes de famille, on souligne ceci : « Il est du devoir de la maîtresse de maison de maintenir et de respecter les liens de la plus douce fraternité, et de voiler tout ce qui contrarie l’affection entre les frères et les sœurs. Les principaux anniversaires, célébrés en commun, sont des évènements qui auréolent de joie le front parfois trop attristés de nos aïeuls. » Ensuite vient le délicat chapitre des « visites ». Des visites « du jour de l’An aux visites de condoléances, on passe par les visites de départ et de retour de voyage, visites aux malades, visites de retour de noces et visites de convenances ». Il y en a pour trois pages!

Nous arrivons enfin au chapitre de la correspondance. Au temps où le téléphone encore récent était utilisé surtout pour affaires et conversation urgentes, donc brèves, on écrivait beaucoup!  On écrivait aux membres de la famille absents, on écrivait aussi des « lettres de civilité » : lettres de remerciements, annonce d’un événement heureux ou malheureux, pour exprimer nos vœux de bonne année ou d’anniversaire, invitation, etc. Il y avait évidemment les lettres d’affaires, telles les lettres de demande d’emploi, pour lesquelles je me souviens qu’il existait des formules spéciales. Il me revient une anecdote; en 9e année, nous avions eu comme devoir d’écrire une lettre pour postuler un emploi. Une élève, un peu moins habile, avait débuté ainsi sa lettre : « Bien-aimé Monsieur… » La religieuse aurait pu lui faire ses remontrances en privé, mais non, elle avait lu le début de la lettre en pleine classe, en soulignant  la bévue. Toutes, nous avions éclaté de rire! Sauf l’élève en question qui était devenue rouge comme une tomate… et qui s’efforçait de sourire, gênée, ayant plutôt envie de pleurer.  Le genre de situation dont on se souvient et dont on n’est pas très fière…

IMG_20160405_0001Il y aurait encore beaucoup à dire sur les cours d’Économie Domestique. Quand nous finissions nos études, nous étions supposées avoir toutes les qualités nécessaires pour être des femmes accomplies, prêtes à occuper un emploi, d’enseignante, d’infirmière ou de secrétaire… évidemment, en attendant le « prince charmant », qui nous transformerait en épouse et mère de famille!

© Madeleine Genest Bouillé, 8 avril 2016

L’économie domestique, 1ère partie

Quand j’étudiais au couvent, les élèves de l’Académie – 8e à 12 années – avaient comme matière de cours, l’Économie Domestique, avec deux majuscules! J’ai encore les trois manuels avec lesquels nous devions étudier cette science, car science il y a! Dans l’avant-propos du livre que nous avions en 9e année, on décrit ainsi l’économie domestique : « …la science de la vie pratique, qui comprend toutes les connaissances nécessaires à la femme pour produire autour d’elle le bien-être, l’aisance, le bonheur : pour établir dans son foyer, l’ordre, la dignité, la paix. » Avouez que c’est tout un programme!

Illustration tirée d'une revue de 1958.

Illustration tirée d’une revue de 1958.

Dès la première page, nous  abordons « le rôle de la femme au foyer », tout d’abord avec écrit en majuscules, MISSION DE LA FEMME. Quelques lignes seulement : « D`après le plan divin, la femme, comme la flamme, est donc faite pour le foyer; si elle y reste, a dit quelqu’un, elle éclaire, réchauffe et réjouit… De même, le foyer est fait pour la femme.  C’est son domaine, elle y règne sans autre sceptre que sa vertu et sans autre édit que ses exemples. » Je vous fais grâce des vertus de l’épouse. Le manuel date de 1950; à cette époque, la guerre qui a fait sortir bien des femmes de leur maison pour travailler dans les usines, leur a aussi fait découvrir qu’elles pouvaient se réaliser à l’extérieur de leur foyer, et que de plus, ça rapportait! On veut donc tenter de leur faire reprendre le chemin du foyer… et les convaincre de l’importance du rôle qu’elles y jouent.

La "cuisine idéale" de l'époque!

La « cuisine idéale » de l’époque!

Dans le chapitre premier, on aborde le choix de la maison : « La maison, c’est le sanctuaire des plus pures affections, l’héritage que l’homme reçoit de ses ancêtres. Dans le plan divin, elle est destinée à être le sanctuaire de la famille. » Les auteurs de ces manuels ne laissaient rien au hasard. On parle de l’acquisition de la maison, du choix, soit de la construction d’une nouvelle habitation ou de l’achat d’une maison déjà construite. À propos du choix d’un logement, après les considérations financières, on énumère les autres considérations que voici : « 1. Le lieu du travail du chef de famille et la recherche, si possible, d’un logement à proximité d’un marché et des différents fournisseurs, sans oublier l’église et l’école. 2. Prendre en considération la facilité et la rapidité des communications ainsi que le voisinage d’une gare d’autobus ou de tramway. 3. Choisir son habitation de manière à y faire le plus long séjour possible. » Et on conclut avec ceci : « Un homme qui déménage souvent ne peut prospérer autant que celui qui est stable. » Au chapitre suivant, on fait le tour de la maison, de la cave au grenier, murs, plafonds, éclairage et chauffage compris. Ensuite on s’arrête dans chacune des pièces, pour parler du mobilier, de la décoration et de l’entretien, sujet qui s’étend sur plusieurs dizaines de pages.

Illustration de 1944.

Illustration de 1944.

Le chapitre 4, consacré au vêtement, parle des tissus, de leur entretien, de l’art de s’habiller, et bien entendu, de la confection de ces vêtements, sans oublier le rangement des armoires. Si les tissus de l’époque étaient plus résistants, ils étaient aussi plus difficiles d’entretien, aussi ce chapitre nous fait des recommandations pour les soins journaliers : « 1. Secouer les vêtements mis la veille ou donner un brossage superficiel, sans exagérer pour ne pas user le linge.  2. Suspendre les vêtements qui ne seront plus portés le jour même.  3. Le soir, au coucher, accrocher les robes, les paletots et même les sous-vêtements, afin qu’ils s’aèrent.  4. Examiner les vêtements des enfants tous les soirs, remplacer les effets qui sont tachés ou usés par d’autres plus propres.  5. Ne pas déposer à plat sur la table des chapeaux mouillés, les placer sur un support (bouteille ou pot, à défaut d’une patère).  6. Remplir les souliers mouillés d’un chiffon sec, les laisser sécher lentement loin du feu. »  Et j’en passe! On constate que la journée de la ménagère devait parfois finir très tard!

Dans ce manuel, j’ai trouvé une feuille d’examen pliée en quatre… L’écriture est encore enfantine; il est vrai que je n’avais que 13 ans. J’ai reçu pour ce travail une note de 93%; j’avais 98%, mais j’ai perdu 5 points pour des fautes d’orthographe, dont deux oublis d’accent aigu. Les fautes comptaient dans toutes les matières. Voilà, pour la première partie de ce grain de sel sur l’économie domestique!

Je vous reviens bientôt pour vous parler de l’horaire de la maîtresse de maison, ainsi que des sorties et autres distraction familiales.

© Madeleine Genest Bouillé, 7 avril 2016.

Le Carême avant la Révolution tranquille

Le Mardi-gras à la campagne, illustration de Edmond-J. Massicotte. Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2895476.

Le Mardi-gras à la campagne, illustration de Edmond-J. Massicotte. Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2895476.

La veille, au cours de la soirée, il était venu tout plein de personnages peinturlurés, vêtus de costumes grotesques et loufoques, qui riaient, parlaient fort et chantaient. Les filles de la maison offraient du sucre à la crème et des bonbons aux patates, tout en essayant d’identifier les « Mardi-Gras ». Papa sortait son vin de cerise… il fallait bien recevoir cette visite rare! On nous avait envoyés au lit, mais on s’était cachés en haut de l’escalier pour regarder, au travers des barreaux de la rampe, ce spectacle inusité. C’était le Mardi-Gras! Contrairement à l’Halloween, il s’agissait plutôt d’une fête pour les adultes qui profitaient de cette occasion pour faire le plein de réjouissances quelque peu arrosées, et ce avant minuit, heure à laquelle commençait le mercredi des Cendres, le début du Carême!

Pour les jeunes comme pour les plus vieux, le Carême était un temps de pénitence et de privations qui durait quarante jours. Certaines bonnes dames, « plus catholiques que le Pape », comme on disait dans le temps, allaient jusqu’à peser leur nourriture à chaque repas. Les repas du matin et du soir ensemble ne devaient pas dépasser en poids le repas principal qui était celui du midi. Si on ajoute à cela les sacrifices de desserts, de sucreries, de boisson alcoolique pour les hommes, et de bien d’autres choses encore, selon l’esprit de mortification des bonnes gens de l’époque, quand la fête de Pâques arrivait, c’était dans tous les sens du terme, une vraie résurrection!

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Église Saint-Joseph, 1958.

Les enfants étaient aussi fortement invités à faire des sacrifices. Cela pouvait varier, allant de l’assistance à la messe en semaine, si on ne demeurait pas trop loin de l’église, au partage des tâches dans la maison pour les filles. Pour les garçons, les bonnes actions allaient du remplissage de la boîte à bois au pelletage de l’entrée, et de bien d’autres choses, surtout si on vivait sur une ferme. L’important pour qu’il y ait « sacrifice » était justement le fait d’accomplir une tâche particulièrement détestable ou de se priver d’une chose à laquelle on tenait beaucoup. Au couvent, les pensionnaires étaient invitées à aller prier à la chapelle dans leurs temps libres, tandis que pour les externes, des visites à l’église nous étaient fortement conseillées, ce que nous faisions parfois après les cours. Je dois avouer cependant que la piété n’était pas toujours au rendez-vous. Ainsi, un beau jour, avec quelques amies, nous avions décidé de nous amuser un peu au cours de cette visite. Nous croyant seules dans le lieu saint, il nous prit l’envie de faire le chemin de croix, mais à l’envers… imaginez nos fous rires! Les plus téméraires voulant en rajouter entreprirent de monter dans la chaire, endroit interdit entre tous! Malheureusement, à l’époque, il y avait souvent des bonnes dames qui venaient prier à l’église. Notre méfait fut donc découvert et rapporté aux religieuses, lesquelles nous réprimandèrent assez sévèrement… nul besoin de vous dire qu’il n’y eut pas de récidive!

Mes grands-parents, Blanche et Tom, endimanchés pour aller à l’église.

Mes grands-parents, Blanche et Tom, endimanchés pour aller à l’église.

À la fin de cette longue période de jeûne et de mortifications, venait la Semaine Sainte avec les longs offices religieux, qui étaient alors tous en latin. Les trois premiers jours de notre congé de Pâques se passaient à l’église pour une bonne partie. Et enfin arrivait le dimanche de Pâques, la fête tant attendue! Chez nous, on chantait sur l’air de l’Alleluia pascal : « Alleluia! Le Carême s’en va. On mangera plus de la soupe aux pois, on va manger du bon lard gras. Alleluia! » Nous, les enfants, on remplaçait le « bon lard gras » par du « bon chocolat »… tellement plus appétissant! Qu’elles étaient bonnes, les friandises quand ça faisait quarante jours que nous en étions privés!

© Madeleine Genest Bouillé, 1er mars 2016

Je vous en souhaite une bonne!

Ancienne carte postale de Bonne Année (1920).

Ancienne carte postale de Bonne Année (1920).

Combien de fois entre le 31 décembre jusque vers la mi-janvier, dirons-nous et entendrons-nous ces mots : « Bonne et heureuse année »? Parfois c’est dit machinalement, sans trop s’arrêter aux paroles. J’ai souvenance qu’autrefois, chez mon grand-père, on entendait les adultes qui s’exclamaient : « Je vous en souhaite une bonne! ». Il était d’usage de répondre : « Vous pareillement! ». Tout cela était exprimé avec une franche poignée de main et une bonne accolade. Et nous, les enfants, nous imitions les grandes personnes qui nous semblaient toutes si joyeuses ce jour-là. On se secouait mutuellement la main avec vigueur en disant : « Bonne année grand nez! » et on répondait : « Vous pareillement, grandes dents! ». Nous avions beaucoup de plaisir à ce jeu, sans doute parce que « ça n’arrive qu’une fois par année! ».

Orchestre Paris, Deschambault (coll. M. Genest).

Orchestre Paris, Deschambault (coll. M. Genest).

Je crois important de personnaliser les souhaits qu’on échange avec les parents, les amis. Mettons-y du cœur; les mots doivent venir facilement quand on s’adresse à ceux qu’on aime! Trop de gens se contentent de souhaits usés à la corde, tel celui qu’on redit chaque année aux écoliers : « Je te souhaite du succès dans tes études. » Je me souviens que je n’aimais pas cela. J’aurais préféré quelque chose de plus amusant. S’il m’arrive parfois de le dire encore, ce sera seulement aux plus jeunes, pour lesquels c’est encore tout nouveau et surtout si je sais qu’ils sont des élèves studieux et motivés. Cependant, j’aime ajouter un souhait plus à leur portée, par exemple, « beaucoup de neige », pour ceux qui, comme cette année, n’ont pas encore eu le plaisir de glisser et de skier; pour le jeune joueur de hockey, je souhaite « beaucoup de buts ». Et surtout, je fais ce vœu qui plait à tous : « Je te souhaite ce que tu désires le plus, même si ce n’est pas raisonnable! ». Ce vœu m’a été offert une fois, une seule! J’étais jeune et, si je me rappelle bien, encore étudiante. Je suis demeurée bouche bée, et en même temps, j’étais contente. La personne qui m’avait fait ce souhait inhabituel était ma marraine. C’était une femme qui dirigeait un petit orchestre de musique de danse, comme on en rencontrait beaucoup à cette époque, dans les soirées où l’on préférait la « vraie musique » à celle du phonographe. Elle s’appelait Blanche, c’était la cousine de ma mère et elle jouait de plusieurs instruments, dont le banjo, un instrument qu’on voyait assez rarement dans ce genre de groupe musical. Elle aimait beaucoup son métier, peu courant pour une femme mariée et mère de famille. À bien y penser ce souhait pas très conventionnel lui ressemblait vraiment beaucoup! Je m’en souviendrai toujours.

La bénédiction paternelle, illustration de Henri Julien, 1880 (Canadian Illustrated News).

La bénédiction paternelle, illustration de Henri Julien, 1880 (Canadian Illustrated News).

C’est chaque fois avec un peu de nostalgie que j’aborde la soirée du 31 décembre… nous sommes moins nombreux à nous rassembler; cette soirée, autrefois familiale, est de plus en plus fêtée entre amis. Ainsi va la vie… et encore une année qui s’en va! 2015 emporte avec elle de belles réalisations certes, des moments heureux, mais aussi d’autres moins beaux, des chagrins, des déceptions, des problèmes de santé. Tout n’a pas été beau, ni parfait. On ne peut rien effacer, il est cependant permis d’espérer le mieux! Notre Créateur ne nous demande pas l’impossible. Mais tournons la page, la nouvelle année est déjà là! On change les calendriers… chez moi, les nouveaux sont déjà installés en dessous des anciens qui ont graduellement perdu des plumes. Le premier matin de cet an nouveau nous retrouvera pareils à ce qu’on était la veille; rien n’a visiblement changé. Au cours du dîner ou du souper, à moins que ce ne soit les deux, nous rencontrerons des membres de la famille ou des amis. On échangera tous les bons vœux habituels. Que serait-ce si nous avions la certitude que ce sont les derniers qu’il nous est donné de souhaiter? Je suis certaine que nous souhaiterions plus de bonheur, de santé, d’amour, de paix, plutôt que d’argent, de voyages, de réussite financière ou scolaire, n’est-ce pas?

Sauf si je suis très malade, je tiens à commencer l’année par la messe. D’une année à l’autre, nous chantons cet ancien cantique : « Mon Dieu, bénissez la nouvelle année… rendez heureux nos parents, nos amis. Gardez de tout malheur ces amitiés si chères, nous vous les consacrons.» Ces paroles je les répète avec toute la ferveur dont je suis capable. Il est important de se rappeler à certains moments que notre destin est pour une grande part entre les mains de Dieu et ce premier jour d’une nouvelle année en est l’occasion par excellence.

Je termine avec ce souhait qui nous vient de Bretagne : à l’an prochain, et si nous ne sommes pas plus, faites, Seigneur, que nous ne soyons pas moins!

© Madeleine Genest Bouillé

La bénédiction du Jour de l'An, illustration de Edmond-J. Massicotte, 1923 (Bibliothèque et archives nationales du Canada MIKAN no. 2895477).

La bénédiction du Jour de l’An, illustration de Edmond-J. Massicotte, 1923 (Bibliothèque et archives nationales du Canada MIKAN no. 2895477).

Les élections

Ben oui, on va avoir des élections! Ça fait longtemps qu’on le sait, me direz-vous. C’est vrai. Autrefois la campagne électorale était plus courte, sauf qu’elle était pas mal plus amusante! Il n’y avait pas la télévision et encore moins les réseaux sociaux; on se contentait des journaux, de la radio et surtout les candidats du comté se faisaient connaître dans les assemblées où ils étaient souvent plus populaires que leur chef. Chez mon grand-père, ça parlait d’élection, mes tantes adoraient ça! Chez nous aussi, on s’y intéressait, même si papa était très discret sur ses intentions de vote; selon lui, c’était quelque chose qu’il ne fallait pas divulguer, un peu comme le secret de la confession. Si je ne m’abuse, dans le temps où il travaillait à la Ferme du Gouvernement provincial, c’était préférable qu’il en soit ainsi…

"Pamphlet" du candidat du Parti LIbéral du Canada, le Dr Pierre Gauthier, en 1957.

« Pamphlet » du candidat du Parti LIbéral du Canada, le Dr Pierre Gauthier, en 1957.

Ma mère était souvent engagée pour tenir le poste de « greffière » le jour du scrutin, parce qu’elle avait « une belle main d’écriture », mais elle faisait ce travail seulement quand c’était le parti Libéral qui était au pouvoir, car c’était bien connu que les Petit votaient « rouge ». L’esprit de parti, ça se transmettait de génération en génération comme la forme du nez et les taches de rousseur. Maman aimait bien travailler aux élections; ça lui apportait un petit revenu qui n’était pas négligeable. Mais surtout, elle aimait cette journée passée à inscrire les voteurs et, le soir venu, participer au décompte des bulletins de votes. Les bureaux étaient toujours situés dans une maison privée, dont les propriétaires étaient reconnus pour être «  du bon bord »! Quand le gouvernement changeait de parti, le bureau de vote changeait de maison.

Verso du pamphlet du Dr Pierre Gauthier. À remarquer: la "promesse" réalisée du quai de Portneuf!

Verso du pamphlet du Dr Pierre Gauthier. À remarquer: la « promesse » réalisée du quai de Portneuf!

Dans mes souvenirs, la période préélectorale durait quelques semaines, mais ça « brassait », je vous l’assure, surtout quand il y avait des « parlements » et des assemblées contradictoires. Chez nous, on a commencé tôt à s’intéresser aux élections. D’abord, on en entendait parler dans la famille et de plus, le père de mes amies était organisateur pour « l’autre parti », ce qui causait parfois quelques quiproquos lors des « parlements », ces assemblées politiques où les candidats venaient haranguer les électeurs. Ces réunions se tenaient le dimanche après-midi, en plein air, quand la saison le permettait évidemment; il y avait des haut-parleurs, qui faisaient entendre de la musique entraînante et généralement, un petit kiosque était installé où l’on pouvait se procurer liqueurs douces, chips et chocolats. Il y avait toujours une nombreuse assistance; les hommes se donnaient des airs de conspirateur, ils parlaient fort, s’engueulaient un peu, beaucoup parfois. Les femmes portaient leurs belles toilettes… et les enfants quémandaient des sous pour s’acheter des petites douceurs. Une vraie grosse foire! La vente de boissons alcooliques étaient prohibées autant à la salle que sur les terrains avoisinant l’église, mais la politique étant ce qu’elle est, lors de ces assemblées, miraculeusement, la bière et le « fort » coulaient à flot! C’était sans doute pour réchauffer l’ambiance afin de mieux acclamer les orateurs! Cependant, quand j’allais avec mes amies dans les « parlements » à l’extérieur, j’étais un peu mal à l’aise d’avoir à acclamer le candidat adverse de ma famille, mais je n’avais pas tellement le choix. J’avoue que je me sentais un peu traître à ma patrie!

Jean Lesage

Jean Lesage

Lors des élections provinciales de juillet 1960, je n’avais pas encore atteint l’âge requis pour voter – qui était alors 21 ans. Jean Lesage se présentait pour le Parti Libéral avec comme slogan « C’est le temps que ça change ». Ce fut une victoire éclatante pour les libéraux. De nouveau en élection en 1962, Lesage était bien parti pour une autre victoire avec son célèbre « Maîtres chez nous! » Cette fois-là, il me manquait dix-sept jours pour avoir droit de vote. J’étais donc déçue! Mais j’avais quand même participé à la campagne électorale. D’abord, quand j’allais faire un bout de veillée chez mes tantes, ça parlait d’élections et pas à peu près! Ma tante Gisèle écrivait des chansons pour ridiculiser les adversaires des Libéraux. Elle ne manquait jamais d’inspiration, on avait tellement de plaisir à chanter ces refrains où elle mettait tout son cœur de libérale pure laine! Et que dire des « transformations » de pancartes! On profitait de l’obscurité pour décrocher les affiches des candidats « bleus » et on s’amusait avec tante Gisèle à les maquiller; on leur mettait des lunettes s’ils n’en avaient pas déjà, des moustaches, des barbes, de gros sourcils… Et plus tard, les gars allaient raccrocher les affiches. Ni vu, ni connu! Bien entendu, on se faisait barbouiller et arracher nos pancartes nous aussi, c’était de bonne guerre!

Mon grand frère qui avait alors son « char » se plaisait à courir les assemblées contradictoires. J’y allais parfois avec lui, car on rencontrait des amis, lesquels n’étaient pas toujours du même parti que nous! L’assemblée contradictoire, comme son nom l’indique, permettait aux deux candidats – il n’y avait alors que deux partis – de faire connaître leur programme électoral au public. Je me souviens que parfois ces soirées se déroulaient à l’Auberge de Lachevrotière. Vers la fin de la veillée, quand je cherchais mon frère pour revenir à la maison, je le retrouvais généralement dehors, en train de discuter, ou plutôt de disputer avec beaucoup d’ardeur ses opinions politiques. Quand nous rentrions à la maison, le grand frère avait souvent quelques égratignures, mais ça ne le dérangeait aucunement. Il disait : « Attends que je le repogne la prochaine fois, lui, le maudit bleu! » Ah! je vous le dis, dans mon jeune temps, les élections, c’était bien plus intéressant que maintenant!

© Madeleine Genest Bouillé, septembre 2015

Maison où a habité le député Pierre Gauthier, au cœur du village de Deschambault (construite par Côme Dufresne). Figure marquante de l'histoire de Deschambault, le Dr Gauthier fut député au provincial de 1927 à 1935, puis au fédéral de1936 à 1958.

Maison où a habité le député Pierre Gauthier, au cœur du village de Deschambault (construite par Côme Dufresne). Figure marquante de l’histoire de Deschambault, le Dr Gauthier fut député au provincial de 1927 à 1935, puis au fédéral de1936 à 1958.