Pour en finir avec les « enfants du temps de la guerre »…

Camp national des Jeunesse Catholiques.

Ce qu’il est important de retenir au sujet de cette génération, dont je vous parle depuis quelque temps, c’est que l’engagement ne nous faisait pas peur. Très jeunes, nous étions pour la plupart prêts à « embarquer »; tout d’abord, il y avait la Croisade Eucharistique, dans laquelle nous étions enrôlés dès la 3e année sans trop savoir ce que cela signifiait. Par contre, je me souviens très bien de ma Profession de Foi en 6e année. Quand nous avons chanté « J’engageai ma promesse au baptême », j’ai vraiment eu l’impression de m’embarquer dans quelque chose de grand, de solennel. L’année suivante, nous, les filles de 7e année, étions reçues Enfant de Marie. Avec quelle fierté portions-nous le ruban bleu! À cette époque, l’engagement, ça faisait partie de la vie!

Ma Profession de foi.

Conseil Lacordaire à Deschambault en 1964.

La « Croisade eucharistique » à Moncton, en 1947.

Les mouvements d’Action catholique étaient florissants; à commencer par la Jeunesse Étudiante, on se dirigeait ensuite soit vers la Jeunesse Ouvrière ou la Jeunesse Rurale, et souvent plus tard, on se retrouvait dans le mouvement antialcoolique Lacordaire et Jeanne d’Arc.  Les adultes étaient membres des Dames de Sainte-Anne – aujourd’hui le Mouvement des Femmes Chrétiennes – ou Ligueurs du Sacré-Cœur. Bien entendu, tous les jeunes ne suivaient pas nécessairement cet engouement pour l’engagement catholique et social; cela dépendait quand même beaucoup des valeurs familiales. Mais généralement, on était heureux de faire partie de ces associations où on apprenait à s’exprimer, à partager et aussi à diriger. Plusieurs leaders politiques et syndicalistes ont fait leurs premières armes dans les mouvements d’Action catholique des années  quarante et cinquante.  On suivait des sessions de formation,  qui était la plupart du temps données sous forme de camps d’été, où nous rencontrions plein d’autres jeunes, enthousiastes, disponibles, généreux. J’ai encore le petit carnet où je notais toutes les belles phrases qui avaient force de loi : «  La jeunesse n’est pas l’âge du plaisir, c’est l’âge de l’héroïsme », ou encore celle-ci qui dit beaucoup : « Le monde est à ceux qui se donnent la peine de le changer ». Nous étions jeunes… nous faisions de beaux rêves et nous avions de l’énergie à dépenser. Dans le programme de ces journées d’étude et de discussions, il y avait heureusement des pauses récréatives où nous avions de joyeuses activités : chants, théâtre, jeux de société, sans oublier les soirées autour du feu de camp. Qui n’a pas quelque belle veillée près d’un feu de camp dans son tiroir aux souvenirs?  « Feu, feu, joli feu »… ton ardeur nous réjouissait!  Et comment!

Puis est venue la révolution tranquille… tranquille, mais sournoise. Elle a chamboulé les valeurs morales de presque toute une génération. On rêvait de liberté. On voulait tout essayer, on refusait toute contrainte. Tout le monde ne montait pas aux barricades, mais beaucoup de jeunes ont suivi ce courant. L’engagement qui retenait surtout l’attention était celui que favorisaient les mouvements de libération : libération de la femme, libération des mœurs, libération politique; peu importait la façon d’y arriver, il était urgent de se libérer! Le temps a passé, cette génération est rentrée dans le rang : il fallait bien gagner sa vie. Il est cependant resté de cette époque un certain refus de l’autorité, religieuse et civile. L’individualisme a pris une place prépondérante dans la société.  Maintenant, avant de s’engager, on demande : « Qu’est-ce que ça donne? » Élevée dans le matérialisme et l’individualisme, la génération actuelle a les pieds bien sur terre!

S’engager, c’est se passionner, c’est aussi avoir le désir bien humain de se réaliser soi-même. S’engager dans une équipe, c’est rêver plus grand; c’est croire qu’ensemble on peut réaliser de grandes choses. Finalement, parmi les belles phrases contenues dans mon petit carnet, j’ai retenu celle-ci qui, selon moi, décrit le mieux l’engagement : « Quand on rêve seul, ce n’est qu’un rêve; quand on rêve à plusieurs, c’est déjà la réalité. »  Nous  n’avons peut-être pas fait mieux que les générations qui nous ont précédés, non plus que celles qui ont suivi, mais pour les enfants du temps de la guerre,  l’important, c’était de «  s’embarquer », de prendre notre place dans la collectivité.

© Madeleine Genest Bouillé, 17 mars 2018