Le grand ménage

C’est beau l’automne… j’aime ses couleurs, ses beaux couchers de soleil; de l’automne, j’aime presque tout. Oui, tout… sauf le grand ménage! Je ne raffole pas du tout de cette tâche fastidieuse et répétitive; mais on n’y peut rien, il faut bien s’y mettre une bonne journée!

Donc, ces jours-ci, je faisais du ménage. J’en étais rendue à laver les bibelots et autres décorations, avant d’exposer mes « bebelles d’Halloween ». Je l’avoue, je suis ramasseuse… j’ai bien de la difficulté à me séparer des objets que j’aime. Un exemple : j’ai un jour reçu en cadeau un ensemble de tasses à mesurer en céramique, sur un support en bois. Ces tasses uniquement décoratives sont accrochées sur le côté de l’armoire de la cuisine depuis je ne sais plus combien d’années.  J’y suis attachée, car elles m’avaient été offertes par quelqu’un que j’aimais bien. Périodiquement, je les décroche pour les laver,  me disant toujours qu’il faudrait bien un jour que je me décide à les mettre de côté, tout comme un tas de choses qui encombrent mes armoires et mes tiroirs.

Voilà où ça devient difficile. Entre les choses dont on ne veut pas se séparer, celles qu’on trouve encore utiles, celles pour lesquelles on hésite – tout à coup ça pourrait servir à quelqu’un – quoi jeter? quoi garder? On commence à faire le tri, puis on manque de temps, on passe à autre chose, et ce sera pour le prochain grand ménage!

Nous habitons notre maison depuis bientôt 46 ans. Nous y avons élevé notre famille; nos petits-enfants y ont tous eu leurs habitudes et leurs objets préférés – jouets démodés, livres d’histoire, vieux vêtements pour se déguiser. Nous en avons entassé des choses! Linge de maison, vaisselle, bibelots, souvenirs de voyage…cela sans compter la paperasse : correspondance, photos, cartes de Noël ou d’anniversaire, recettes de cuisine, coupures de journaux et de magazines, et divers papiers jugés « importants » à l’époque où on les a mis de côté.  Tous ces témoins des nombreuses activités auxquelles nous avons été mêlés. On n’en finit plus quand on se met à classer tout ça.

Bateau acheté en Gaspésie en 1971…

Il faut en convenir; nous ne sommes plus jeunes. Quand on a atteint le fatidique « soizante-quinze », on a beau se dire qu’on est encore capable de tenir maison et de faire notre « ordinaire », comme on disait autrefois, les « pentures craquent » et on se surprend à « cogner des clous », en plein cœur d’après-midi! Tout cela pour dire que, même si la santé est bonne, voici venu le temps d’apprendre à lâcher prise! Dans son livre Voyage en Italie, écrit en 1803, Châteaubriand disait ceci : « On meurt à chaque moment pour un temps, une chose, une personne qu’on ne reverra jamais; la vie est une mort successive. » Ça peut sembler sévère, mais il faut bien admettre que c’est vrai. S’il est normal de s’attacher aux souvenirs, on ne doit pas les laisser alourdir notre vie et nous empêcher d’avancer. Pour vieillir heureux, il faut apprendre à  « voyager léger ».

De plus en plus souvent, je me surprends à me dire, concernant les choses que je garde ou les projets que je fais pour la maison : « Combien de temps me reste-t-il?… Nous reste-t-il? » Comme bien des gens de notre âge, nous espérons vivre le plus longtemps possible « chez nous ». On ne parvient pas à imaginer quand, comment et de quelle façon nous seront amenés à quitter notre foyer.  Et je crois que c’est aussi bien ainsi. Profitons de ce « temps qu’il nous reste » en faisant confiance « comme les oiseaux du ciel qui ne tissent, ni ne filent… »

En terminant je vous offre cette prière que j’avais trouvée il y a quelques années  dans un Prions en l’Église :

Il passe et je le sais fragile, le temps qu’il me reste.
Aide-moi Seigneur à le vivre en m’appuyant sur Toi.
Il passe et parfois, il m’effraie, le temps qu’il me reste.
Aide-moi Seigneur à le vivre dans l’espérance.
Il  passe et il est un don de Toi, le temps qu’il me reste.
Aide-moi à le vivre pour ta plus grande gloire.
                       

Madeleine Genest Bouillé, 5 octobre 2017

La vie, c’est comme le gâteau Caramilk

Dans notre famille, à partir de février on entame la saison des anniversaires. Durant sept mois, on en a au moins un ou deux chaque mois. J’aime faire des gâteaux de fête; même si plus souvent qu’autrement, ils ne sont jamais aussi beaux que je le voudrais, mais au moins ils sont bons. Quand mes enfants étaient plus jeunes, chacun avait sa préférence :  gâteau aux ananas pour l’aîné – quand ce n’était pas une tarte aux bleuets! –, gâteau « Forêt Noire » pour le deuxième, le troisième qui fête en juillet avait presque toujours un gâteau décoré de fraises, tandis que notre fille ne fêtait jamais sans un gâteau « rose », au grand désespoir de ses frères qui n’aimaient pas ça du tout!

Un jour, j’ai reçu la recette du fameux « gâteau Caramilk ». Tout un gâteau! La première fois qu’on « embarque » dans cette recette, ça s’appelle : « Tenez bien vos tuques, ça va barder! » Curieusement, j’en ai tiré la réflexion suivante : la vie, c’est comme le gâteau Caramilk!

Le début de la recette est bien simple, comme les années de la petite enfance, dont on ne garde d’ailleurs que peu de souvenirs. Je dois commencer par étaler au fond du moule un mélange de sucre et de cacao en poudre. Seulement ça, c’est facile!

Dans la vie, viennent ensuite les premières années d’école, beaucoup d’apprentissages, mais comme on est enthousiaste! Dans la recette, j’en suis rendue à mélanger les ingrédients comme pour tout gâteau ordinaire. Jusque-là, c’est du travail, soit. Mais si on ne fait pas deux choses à la fois, si on est attentif, qu’on ne placote pas trop (comme à l’école), ça va très bien.

Voici que les choses commencent à se compliquer. Je dois étendre la moitié du mélange de pâte dans le moule. La moitié, c’est peu et ça ne s’étend pas bien, mais tant bien que mal, j’y arrive. Maintenant on me dit d’enfoncer dans la pâte deux tablettes de chocolat Caramilk en morceaux. Ça n’a pas de bon sens, je n’y arriverai jamais. Il y a beaucoup trop de petits carrés! Pour me consoler, j’en mange deux morceaux… ça fera ça de moins à caser. Dans la vie, cette étape-là, c’est quand on est rendu à l’âge de « raison ». On a commencé à connaître les hauts et les bas de la vie d’étudiant. Il y a des journées où, que ce soit au niveau strictement scolaire, ou avec les amis, la famille, on rencontre des difficultés, des déceptions auxquelles on n’est pas habitué: « C’est pas vrai le Père Noël… Les parents et les professeurs n’ont pas toujours raison… On aurait de bien meilleures idées qu’eux parfois, souvent même! »

L’étape suivante, je la comparerais à cette période de la vie où l’on flotte sur un petit nuage rose : la vie est belle, on est en amour, c’est nouveau, ça va durer toujours… du moins on le croit. J’étends sur ma moitié de gâteau la deuxième couche de sucre-cacao.

Finalement, ce n’est pas si difficile que ça cette recette-là. Attendez… c’est maintenant que ça se corse! Il faut étendre le reste de la pâte par-dessus cette deuxième couche de sucre-cacao. Il me semble qu’il ne reste pas assez de pâte; j’ai du mal mesurer la première moitié, ça ne couvrira jamais. Sainte Anne, sainte Catherine, sainte Gudule… c’est qui donc la patronne des cuisinières? Au secours! Bon, après bien des misères, j’y arrive tout de même. J’espère que ça va étendre en cuisant. Oh! Mais c’est pas tout. Il faut encore enfoncer dans la pâte deux autres tablettes Caramilk en morceaux. Quelle idée de fou j’ai eue de vouloir faire ce gâteau de malheur! Je mange encore deux carrés, je les mérite bien. Et puis ça fera ça de moins, je sais plus où les mettre. Enfin voilà, c’est terminé.

L’apparence est très ordinaire, mais attendez que ça cuise. Quel gâteau! Ça lève, c’est superbe et surtout, c’est un pur délice! Les morceaux de Caramilk en fondant, font un marbré caramel-chocolat, un vrai péché! Vous vous demandez quel rapport ça peut avoir avec la vie? La dernière partie de la préparation du gâteau, c’est ce que chacun de nous vivons chaque jour. Ce n’est jamais comme on voudrait : pas assez de ceci, trop de cela.  On s’est trompé quelque part et la vie n’offre pas toujours de « deuxième chance », comme à la télévision. Parfois, les apparences sont trompeuses. On pose des gestes, on prend des décisions, on craint les résultats… ou parfois ceux-ci se font attendre. On crie « Au secours ! »… pas sûr d’être entendu. On essaie de se donner des chances par tous les moyens : on lésine ici, on escamote la vérité là, on fait quelques entourloupettes pas toujours correctes. Ça, ce sont les carrés de chocolat que j’ai subtilisés à la recette, vous voyez! Mais on s’encourage malgré tout, et on va jusqu’au bout, surtout!

Je crois fermement oui, qu’on doit aller jusqu’au bout; appelez cela de la foi, de l’espérance indécrochable ou simplement de la curiosité. Lâcher en cours de route, c’est gaspiller de si bonnes choses et rater un si bon gâteau! Parce que vraiment, la vie est belle et bonne… comme le gâteau Caramilk!

© Madeleine Genest Bouillé, 28 février 2017

(Texte paru pour la première fois dans mon 2e livre, Grains de sel, grains de vie, en 2006).

L’amour, ce qu’on en dit et ce qu’on en pense!

oqwp8iy6La Saint-Valentin est à nos portes et on ne peut quand même pas faire comme si cette fête des amoureux nous laissait indifférents! Mais qu’est-ce que cet amour dont on parle sur tous les tons, de la comédie à la tragédie? Dans l’opéra de Carmen, on chante que : «  l’amour est enfant de Bohème, qui n’a jamais connu de loi »… c’est grandiose, dramatique! Par contre, ce qu’on nous fait voir dans les films, à la télévision ou sur Internet et ce qu’on lit dans les revues et les romans modernes nous montre l’amour comme quelque chose de « capotant », une flambée qui dure le temps d’un beau feu d’artifice… c’est-à-dire, pas longtemps!

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part, je crois que l’amour, le vrai, c’est plus que ce petit feu de camp qui réchauffe seulement les mains, laissant le dos frissonnant dans la fraîcheur du soir. On a à peine le temps de faire griller quelques guimauves, et c’est fini! Tout le monde sait qu’un feu qu’on n’attise pas meurt tout doucement… Les braises ont fréquemment besoin d’être réveillées.

carte-postale-ancienne-amourPour étoffer mon grain de sel, je suis allée voir ce qu’en disent les penseurs, les écrivains, quelques saints même, toutes gens d’époques différentes. Tout d’abord, saint Paul, ce saint sévère à qui on reproche parfois de ne pas aimer les femmes, consacre tout une épître à l’amour; ça se résume en ces mots : « Si je n’aime, je ne suis rien ». Saint Augustin – un saint qui ne l’a pas toujours été – précise que « La mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure ». D’une façon très poétique, un proverbe africain dit : « Là où l’on s’aime, il ne fait jamais nuit ». Si l’amour peut éclairer la vie, la comtesse de Ségur nous prévient qu’il est aussi « comme la lune : quand il ne croît pas, il décroît ».

Qu’est-ce donc que cet amour dont on ne parle souvent qu’à demi-mot – sans doute pour ne pas l’effrayer – et qui est la cause de tant de bonheur et aussi, de tant de malheur ? D’après Victor Hugo – un infidèle notoire – « Aimer, c’est la moitié de croire ». Et qui ne connaît pas cette phrase de Saint-Exupéry : « S’aimer, ce n’est pas se regarder l’un, l’autre, c’est regarder ensemble vers la même direction ». L’auteur du Petit Prince dit aussi : « L’amour véritable commence là où il n’attend rien en retour ». Philosophe français, du début du XXe siècle, Gabriel Marcel nous donne cette très belle définition : « Aimer un être, c’est espérer en lui pour toujours ». L’amour vrai peut même se passer de paroles selon cet autre philosophe français, Jean Guitton : « L’amour solide, c’est pouvoir se taire ensemble sans briser l’entretien ».

presentationQui n’a pas déjà lu ou entendu ces vers de Rosemonde Gérard : « …et chaque jour je t’aime davantage… aujourd’hui, plus qu’hier, et bien moins que demain ». Dans l’amour qu’est-ce qui importe? Michel Quoist dit : « L’essentiel de l’amour n’est pas de faire quelque chose pour l’autre, mais bien d’être là pour l’autre ». Dans la même veine, Félix Leclerc nous dit : « L’amour se passe de cadeau mais pas de présence ». De Félix, j’aime beaucoup cette autre pensée : « Le verbe AIMER pèse des tonnes : des tonnes de chagrins, d’inquiétudes, de joies, etc… Ne le fuis pas. Le verbe NE PAS AIMER pèse encore plus lourd ».

Donc, aimer, c’est être là pour l’autre, espérer en lui, croire en lui. Ce n’est pas tout.  C’est d’un écrivain autrichien, Reiner Maria Rilke, que nous vient cette pensée : « Le plus beau cadeau que l’on puisse faire à la personne aimée, c’est la liberté ». Celle-là, elle mérite d’être lue, relue et méditée!

Quand j’étais étudiante, la mode était aux carnets d’autographes. C’était un accessoire indispensable et c’était à qui aurait le plus de signatures. Sur la première page de mon carnet, mon père avait écrit ceci : « Rien ne fait un effet plus magique que celui d’être aimé. C’est comme si le bon Dieu posait la main sur votre épaule ». Et voici un proverbe russe qui en dit long : « Les défauts sont épais là où l’amour est mince ». À ceux qui croient que l’amour et le mariage sont incompatibles, André Maurois dit ceci : « Un mariage heureux est une longue conversation qui semble toujours trop brève ». Et que dire de ce si joli poème de Félix Leclerc :

st-valentin-3« Plus fragile que la feuille à l’arbre, la vie.
Plus lourde que montagne au large, la vie…
Légère comme plume d’outarde,
Si tu la lies, à une autre vie…
Ta vie… »

 Il y en aurait tant d’autres, de ces pensées, maximes et poèmes, et que dire des chansons, telles l’immortelle Parlez-moi d’amour! Tous nous parlent de l’Amour avec un « grand A ».  Je termine avec ces deux petits mots qui en disent beaucoup :

De Julos Beaucarne, le barde belge : « Plus on aimera trop, moins ce sera assez ».

Et de Victor Hugo : « Moi, je ne veux qu’aimer, car j’ai si peu de temps! »

Bonne Saint-Valentin à  chacun et chacune de vous!

© Madeleine Genest Bouillé, 11 février 2017