Le temps qui passe

« C’est l’angoisse du temps qui passe qui nous fait tant parler du temps qu’il fait. » J’aime beaucoup cette phrase tirée d’un film de 2001 qui avait pour titre Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Non mais vraiment, c’est fou ce qu’on en parle, du temps qu’il fait : « Il fait beau aujourd’hui, il faut en profiter! Il paraît que ça durera pas… Y a pas à dire, c’est l’automne! Pas déjà?… On est quand même rendus à la mi-septembre… Je suis en retard, pas encore sorti le linge d’automne; c’est ben terrible! »  Et on parle des automnes qu’on a connus, des plus beaux et des bien pires. Le temps qu’il fait, c’est le sujet idéal quand on rencontre quelqu’un et qu’on ne sait pas sur quel thème s’enligner. C’est aussi très utile quand on se cherche des points communs, et qu’on ne connaît pas beaucoup la personne avec qui on n’a pas le choix de jaser de chose et d’autres… politesse oblige!

Ah la température! Une chance qu’on l’a pour débuter ou remplir une conversation. Et en plus il y a ceux que ça intéresse pour vrai. Tenez, comme mon frère Florent, que ce sujet passionnait. Épris de basse et de haute pression atmosphérique, c’était un fervent de précipitations, un amoureux de stratus et de cumulo-nimbus!  Je m’ennuie de ces conversations avec ce frère qui n’avait à peine que onze mois et demi de plus que moi, mais qui savait tant de choses! Doté d’une mémoire exceptionnelle, il fallait l’entendre quand on rappelait des souvenirs de notre jeunesse et qu’il nous précisait le temps qu’il faisait. Par exemple cette fois où il y avait eu une tempête de neige à Pâques et où je n’avais pas pu étrenner mes souliers turquoises… ou encore ce Noël où justement sans le froid mordant, on aurait pu se rendre à la messe de Minuit en souliers, deux jours de pluie « à boire debout » ayant fait fondre toute la neige.

« Le temps qui passe »… il passe à une vitesse ahurissante et c’est angoissant, oui.  Quand j’étais petite, comme tous les enfants, je disais à tout propos : « J’ai hâte! » : hâte à Noël, à Pâques, aux vacances. Quelqu’un – un vieux de soixante ans – m’avait répondu une fois : « T’as donc ben hâte de vieillir! » J’étais restée sidérée. Mais voilà! On n’y peut rien, nos désirs, nos espoirs nous poussent en avant toujours. Remarquez, pour ceux qui ne sont jamais contents de rien, le temps passe quand même et aussi vite… sauf que c’est plus ennuyant.

Maintenant que j’ai atteint un âge respectable et j’ose le croire, une maturité certaine, je ne peux m’en empêcher, j’ai encore hâte. Hâte à tous ces événements qui jalonnent notre vie et celle de nos enfants tous majeurs et vaccinés! Sans parler des petits-enfants, dont les aînées qui ont déjà commencé à gagner leur pain quotidien… Oui ça va vite! Et même avec cette pandémie qui nous restreint les moments précieux où on rencontre les personnes qui nous sont si chères, j’ai quand même hâte. Avec des hauts et des bas, mais je n’y peux rien… j’ai hâte et j’espère. Et tant pis pour le temps qui passe, qu’au moins il soit bien rempli!

Mes frères Florent et Roger, et moi, vers 1955. La maison à l’arrière plan est celle de feu Jean-Yves Vézina

© Madeleine Genest Bouillé, 14 septembre 2020, à partir d’un texte de 2004.

L’année sans été

Pourquoi pas une petite histoire de peur?

Quand vous lirez ceci, nous serons sans doute revenus à des températures normales de saison. Mais avouez que la première quinzaine d’avril a été vraiment désolante! On cherchait vainement des signes de printemps; il n’y en avait pas! Pourtant, notre Belle Province a connu pire! Sur Internet, dans L’Histoire du Québec – L’année sans été, avec sous-titre : La disette de 1816 – la catastrophe climatique, on lit ce qui suit : « Dans les annales météorologiques, l’année 1816 est tristement célèbre.  Il semblerait qu’une vague de froid d’une intensité peu commune avait envahi tout l’hémisphère nord, ruinant les récoltes particulièrement en Amérique du Nord… Vers la fin du XVIIIe siècle, déjà on constate de grands changements climatiques sur tout le territoire du Canada. En effet, la lente dégradation du climat a lieu à compter de la fin de ce siècle. Ce phénomène se traduit par des étés plus courts et très pluvieux, ainsi que par des hivers plus rigoureux ».

Jean Provencher, dans son livre Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent, nous relate cette année 1816, qui a été vraiment néfaste pour la plupart des habitants du Québec. Il faut dire qu’en ce temps-là, la subsistance des  habitants des villes et de ceux des campagnes, dépendait presqu’entièrement des cultivateurs. Durant la saison des semailles aussi bien que durant celle des récoltes, la température du lendemain décidait de la marche des travaux de la terre.  À tout moment,  la pluie, le vent, la grêle, la gelée, aussi  bien que l’excès de soleil  pouvait tout gâcher.

Déjà en 1807, toujours selon Jean Provencher, des changements subits de températures avaient retardé considérablement la végétation dans la région de Québec. En plein cœur de l’été les arbres fruitiers, tels les pruniers et les cerisiers, n’ont pas pu donner de fleurs, faute de chaleur convenable. L’été suivant s’était révélé, par contre, remarquablement chaud.

À l’été 1816, il continue de neiger jusqu’à la fin de juin, nous dit M Provencher.  Imaginez! Nous sommes au 20 avril et les conditions atmosphériques nous virent déjà à l’envers… que serait-ce, s’il fallait qu’on nous prédise cette température jusqu’en juin! Il faut avouer que nous sommes beaucoup moins patients que ne l’étaient nos ancêtres, qui avaient un meilleur rapport avec la nature; ils avaient compris, eux, qu’on n’y peut rien!

Dans le paragraphe suivant, Jean Provencher cite un capitaine de milice, Augustin Labadie, lequel dépeint dans son langage, la situation en Beauce : « Il est de mon devoir de dire la vérité que le 7 juin, il a nègé presque toute la journée et gros vent et beaucoup de froid. Ce jour même… les habitants ont traîné du bois avec leur traîne pour se chauffer. La nège était d’un pied et demis d’épaisseur ».  Plus loin, l’auteur nous apprend que cet été-là, à la mi-juillet, les lacs situés en arrière de Baie-Saint-Paul sont toujours recouverts de glace.

Et je reviens à L’Histoire du Québec. Il y est écrit que les changements climatiques touchent d’une manière particulière les paroisses de l’est du Bas-Canada (le Québec d’aujourd’hui) et c’est ce phénomène qui explique les mauvaises récoltes un peu partout en Amérique du Nord, mais il est vrai que les effets néfastes de l’éruption volcanique du Tambora, en Indonésie, ont contribué à la disette de 1816. Enfin on a identifié le coupable!

Gillen D’Arcy Wood, un Australien, a écrit en 2015 un livre ayant pour titre L’année sans été, Tambora, le volcan qui a changé le cours de l’histoire. Dans la page de présentation, l’auteur écrit : « Un an après Waterloo, en 1816, le monde est frappé par une catastrophe restée dans les mémoires comme « l’année sans été » ou « l’année des mendiants ». Une misère effroyable s’abat sur l’Europe. Des flots de paysans faméliques, en haillons abandonnent leurs champs, où les pommes de terre pourrissent, où le blé ne pousse plus. Que s’est-il passé?  En avril 1815, Près de Java, l’éruption cataclysmique du volcan Tambora a projeté dans la stratosphère un voile de poussière qui va filtrer le rayonnement solaire plusieurs années durant. »  Ce livre qui fait le tour d’un événement à l’échelle planétaire, sonne aussi comme un avertissement : ce changement climatique meurtrier n’a pourtant été que de 2 degrés C…

Avec tout ce qui se passe de nos jours, sur notre Terre et autour, à mon humble avis, moi qui ne suis pas savante et encore moins voyante, nous sommes bien chanceux de ne pas avoir de changements climatiques plus dérangeants que la température de ce mois d’avril 2018!

© Madeleine Genest Bouillé, 19 avril 2018