L’école en d’autres temps

« Les choses ont bien changé… Dans mon temps… »

Plus on avance en âge et plus souvent on se surprend à répéter cette phrase! Par un beau matin, il y a quelques jours, nous étions en auto à l’heure où, un peu partout sur le bord de la route, on voyait des écoliers en attente de l’autobus. En bons grands-parents, on fait la remarque : « Mais ils ont donc de gros sacs à dos! Et comme ça semble lourd! » Et on ajoute : « Ils vont avoir mal dans le dos, plus tard! » C’est vrai qu’ils en transportent des affaires dans ce sac! Pour avoir souvent gardé nos petits-enfants – ce n’est certes pas fini! –  j’ai appris qu’à l’école primaire, en plus des effets scolaires, il y a dans le sac d’école le contenant du dîner et les deux collations, chacune dans son emballage. À l’école secondaire, même  s’ils prennent leur repas à la cafétéria, les sacs sont quand même toujours aussi remplis.

img_20160908_0001Quand j’étais étudiante,  j’étais externe, c’est-à-dire que je me rendais à pied au couvent, où j’ai fait toutes mes études. C’était bien différent de ce que nos jeunes vivent maintenant. D’abord, si le sac d’école était très léger au cours des premières années, il s’est alourdi petit à petit à partir de la  6e année. Les cours commençaient à 8 heures 20  et la classe finissait à 11 heures moins 10. Je retournais dîner à la maison; à midi trente, j’écoutais le début de l’émission radiophonique Le Réveil rural, avec le thème musical dont je me souviens très bien : « C’est le réveil de la nature… tout va revivre au grand soleil… » Une très belle chanson! Mais je reviens à mes moutons, c’est-à-dire, au couvent : à 1 heure moins 10, la cloche sonnait et nous retournions chacune à nos classes, les cours se terminant à 4 heures moins 10. Les grandes de l’Académie – élèves de la 8e à la 12 année – avaient une période d’étude de 4 heures 20 à 5 heures 20.  Durant la demi-heure qui précédait l’étude, les pensionnaires descendaient au réfectoire (on appelait ainsi la salle à manger) pour prendre une collation qui consistait généralement en une tartine de mélasse… sans doute que ce modeste goûter devait être accompagné d’un breuvage. Pour  la plupart des externes, en hiver ou quand la température était moins clémente, nous descendions au vestiaire, pour jaser et déguster le petit « en-cas » qu’on avait apporté de la maison. Quand il faisait beau, on se promenait dans la rue de l’Église et on allait parfois acheter quelques friandises au petit magasin de Mademoiselle Corinne Paris – aujourd’hui la Boulangerie « Soleil levain ».

sainte-enfance_jean_webParlant de friandises, il faut que vous raconte une de mes mésaventures. À l’époque, il existait beaucoup d’œuvres de bienfaisance destinées aux pays qu’on disait « sous-développés » – et qu’on appelle maintenant « en voie de développement ». Dans la même veine, plusieurs congrégations envoyaient des religieux et religieuses pour enseigner et soigner les gens dans ces contrées démunies tout en faisant connaître les bienfaits du christianisme. Les missionnaires avaient besoin d’être soutenus financièrement non seulement par leur communauté, mais aussi par les gens de leur pays, leur village natal. La religieuse qui était titulaire de l’Académie avait justement une sœur qui était missionnaire au Japon. Nous étions donc fortement incitées à contribuer aux œuvres missionnaires, surtout à la « Sainte-Enfance ».  Pour chaque pièce de 10 ou 25 sous, nous recevions une petite carte portant la photo d’un enfant de race noire ou asiatique. On disait qu’on « achetait » un petit noir ou une petite chinoise. On leur donnait un prénom… et c’était à qui aurait le plus d’enfants chinois ou africains!

acfa0Ma famille n’étant pas des plus fortunées, je ne donnais pas beaucoup de sous pour la « Sainte-Enfance », et on me le rappelait un peu trop souvent à mon goût. Surtout que, quand enfin j’avais un petit pécule, il était bien tentant d’utiliser ces quelques sous pour acheter une friandise chez Mademoiselle Corinne. Eh oui! Vous me voyez venir… Un beau jour de mai, il faisait beau, on approchait de la fin de l’année scolaire. J’avais reçu un beau 10 cents, pour je ne sais quel service rendu; on m’avait fortement conseillée de le donner pour la Sainte-Enfance. Mais voilà! Mes amies allaient toutes au petit magasin avant l’étude, j’y suis allée et… je n’ai pas résisté à l’envie de me payer une délicieuse Caramilk. Tout se savait dans cette sainte institution! J’aurais dû m’en douter… ma faute a été dénoncée à notre professeur. J’ai été réprimandée en pleine classe; j’ai reçu une punition, je ne sais plus laquelle, et bien entendu, mon nom a été effacé du tableau d’honneur! Jusqu’à la fin de l’année, fuyant la tentation, je ne suis plus retournée chez Mademoiselle Corinne… mais je n’ai pas non plus acheté ni petit chinois, ni petit noir!

© Madeleine Genest Bouillé, 10 septembre 2016

Mon vieux sac d’école

Autant le dire que le penser : je n’aime pas la rentrée! Du plus loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu hâte que l’école recommence. Ni pour moi, ni pour mes enfants quand vint leur tour. Je crois que j’ai trouvé d’où ça vient.  Voici,  j’étais en 4e ou en 5e année. Chose certaine, je n’étais plus dans la classe des petits –  la classe des  1ère, 2e et 3e années, celle de Mère Ste-Flavie. On m’avait acheté un sac d’école tout neuf pour la rentrée. Auparavant, j’avais eu des petits sacs en imitation d’imitation de cuir – du carton, en fait. Tout juste si ça faisait l’année scolaire. Mais là, j’avais un vrai sac qui devait me durer tout au long de mes années d’études… et il a duré!

Maison de mon grand-père, Edmond "Tom" Petit, en 1903.

Maison de mon grand-père, le cordonnier Edmond « Tom » Petit, en 1903.

C’était un énorme sac en vrai cuir noir, épais, sans aucune garniture, avec un compartiment pour le coffre à crayons et deux longues courroies. Je le revois encore, je sens son odeur : la même que celle qui régnait dans la boutique de cordonnerie de mon grand-père. Je me souviens de la texture rugueuse, laquelle s’est je l’avoue, adoucie à l’usure. Quand j’étais petite, je n’étais pas grande et ce sac presqu’aussi gros que moi me battait les mollets à chaque pas. J’étais très timide et je me sentais ridicule avec mon  grand sac pas comme celui des autres petites filles.

Mon sac a vieilli avec moi; il était moins disproportionné à mesure que je grandissais. Mais s’il ne s’usait pas, à la longue, il était devenu encore moins beau – l’avait-il déjà été? Il m’a suivie tout au long de mes années d’études. Et je suis bien certaine maintenant qu’il a effacé pour moi les quelques charmes que pouvait avoir la rentrée scolaire.

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Au couvent, nous portions un uniforme. Au cours des premières années, il s’agissait d’une robe noire à manches longues, avec jupe à plis plats, la seule décoration étant une fine bordure blanche, de dentelle ou de toile, à l’encolure et au bord des manches.  Il va sans dire que cette garniture se devait d’être toujours immaculée… il fallait donc la découdre souvent pour la laver et la repasser et ensuite la recoudre à petits points, à la main, vous pensez bien! Plus tard, nous avons porté la tunique grise avec chemisier blanc, manches longues, toujours, et le « blazer » marine.  C’était ce qui se faisait de plus moderne!

Mado 1951L’uniforme était pratique en ce sens qu’il avait l’avantage de réduire la possibilité de compétition en matière de vêtements pour les filles surtout. Ainsi, les seules  nouveautés qu’il nous était permis d’exhiber à chaque début d’année étaient les cahiers, crayons et surtout un nouveau sac d’école! Comme j’enviais mes compagnes de classe qui arrivaient en septembre avec un beau sac coloré, décoré de bandes contrastantes, un sac à la mode! J’ai bien essayé de trouver de bonnes raisons pour demander un sac neuf, mais ça ne marchait jamais. On me disait : « Tu as le meilleur sac qui soit, c’est du bon cuir de vache; ces petits sacs à la mode, c’est bon à rien! »  Hélas, dans mon temps, les parents avaient toujours raison!

À la fin de mes études, je l’ai caché bien loin au grenier. Quelques années après mon mariage, ma mère ayant trouvé le fameux sac, me le remit en disant d’un air amusé : « J’ai trouvé ton sac d’école… je me suis dit que tu devais bien vouloir le garder en souvenir ». J’avais laissé dedans  plusieurs livres et cahiers. J’ai fait disparaître le manuel de mathématiques et j’ai gardé les autres, surtout mon livre de Lectures littéraires, et mes cahiers de rédaction. Quant au sac, je l’avais si bien rangé que lors de notre déménagement en 1971,  je l’ai oublié!

C’est de l’histoire ancienne, mais il fallait que je vous la raconte. Si mes enfants ont manqué de motivations pour la rentrée scolaire, c’est assurément la faute de mon vieux sac d’école…

© Madeleine Genest Bouillé, 19 août 2016

(Tiré d’un texte rédigé pour l’un de mes livres).

Nos belles folies

500x675_3142Quand les mille feuilles avaient  MILLE  feuilles…
Quand les « Mae West »  étaient aussi dodus
Que l’actrice dont c’était le nom.
C’était l’bon temps, garanti!
Pas croyable, tout ce qu’on pouvait acheter
Pour seulement 10 cents :
Un Coke, un  Cream Soda, un sac de chips
Un sac de « pinottes », une Orange Crush;
10 cents, rien que ça!

IMG_20160521_0001Quand la télévision est arrivée,
Ceux qui l’avaient étaient privilégiés.
Mais, je vous dis qu’ils en avaient d’la visite!
« Sa Mère, ôte ton tablier, vite! »
« Ben non, Pépère, pas besoin de se changer,
Ils nous voient pas, là, les acteurs dans la télé! »
La Famille Plouffe, la Soirée de lutte, Cap-aux-Sorciers,
Radisson, le Survenant, Un homme et son péché…
Et le dimanche soir, le « Ed Sullivan Show ».
C’est là qu’on a vu ELVIS pour la première fois!
On en revenait pas… Il était donc ben beau!
Puis quand il a chanté « Love me tender », Ah là!
On a braillé, je vous le cache pas!

IMG_20160521_0002Quand on allait au Mois de Marie,
Par les beaux soirs de mai à 7 heures et demie.
Ça nous faisait une bonne raison
Pour rentrer plus tard à la maison.
C’était donc plaisant d’être catholique!
Aller à l’église, le soir, c’était ben pratique.
En revenant on se pressait pas…
Derrière le Vieux presbytère on cueillait du lilas…
En faisant semblant de pas voir passer les gars…
Mais on parlait fort, on riait aux éclats.
On chantait : « Ave Maris Stella, des springs, pis des matelas »
On virait les cantiques à l’envers, plus folles que ça, ça se peut pas!

Quand au mois de juin, on s’installait sur la galerie pour étudier,
En regardant passer les autos, les bicycles, surtout les gens à pied.
On étudiait très fort : la géographie, l’Histoire du Canada,
1759, 1760, Wolfe, Montcalm… « Aïe c’est qui celui-là? »
On repassait tout le Régime français en écoutant le beau Paul Anka.
Paul_Anka_1961Sur le petit transistor : « Put your head on my shoulder… »
« C’est quand donc, l’intendant Talon? »
« Je le sais-tu moi, on écoute la chanson. »
Les soirées étaient douces… l’été était déjà là.
On avait tellement pas le goût de rentrer,
Plus studieuses que ça, ça se peut pas!

Quand enfin arrivait les vacances d’été,
On posait pas la question : « Où on va cette année ?»
On prenait des marches, on s’assoyait sur la galerie pour placoter.
On allait quelquefois visiter les « mononcles »,  les « matantes », la parenté.
On ne manquait pas une partie de balle;
On encourageait de notre mieux les équipes locales.
On criait quand il le fallait même si on suivait pas le jeu…
On savait le nom des joueurs : Ti-Pierre, Ti-Jacques, Ti-Zon, Ti-Bleu…
Des fois, il venait un cirque : le Cirque Touzin, ça s’appelait.
C’était la grosse foire! Les jeunes, les vieux, tout le monde y allait.
Il s’en est fait, des belles rencontres, à côté de la Grande Roue!
Entre deux tours de manège, au son de « Waterloo »…

cornet-frites-froisse-blanc-1-640Quand on allait à « la roulotte à patates frites »
Chez M. Audet, pour 25 cents on avait un Coke, une frite.
Dire qu’y en a qui disent que la friture, ça pue!
Maintenant  il n’y a plus que le parfum du B.B.Q.!
La bonne odeur des frites, un peu vinaigrée…
C’est l’arôme même de nos belles années!
On revenait en placotant, en riant, en chantant…
Les gars en bicycle nous criaient, chemin faisant…
À notre tour, on les reluquait sans en avoir l’air
On se pensait bonnes, puis on était donc fières!

Quand les milles feuilles avaient MILLE  feuilles…
La vie était un énorme mille feuilles!
Qu’on dégustait sans s’écœurer,
Qu’on émiettait sans y penser,
Qu’on gaspillait sans se soucier,
Comme si ça allait toujours durer.
Quand les mille feuilles avaient… MILLE feuilles!

Écrit  un beau soir du mois de mai au début des années 2000

© Madeleine Genest Bouillé

Dans le bon vieux temps

IMG_20160422_0001C’était en mai 1982, lors d’une soirée de l’Âge d’Or – aujourd’hui la Fadoq, j’avais mimé cette chanson Dans le bon vieux temps, avec un compagnon de la chorale. À l’époque, nous devions nous poudrer les cheveux pour rendre le « Vieux » et la « Vieille » plus crédibles… Voici cette chanson de deux vieux qui se rappellent de doux souvenirs :

Lui :
« Dis-moi, te souviens-tu ma vieille, du temps où je te courtisais
Ma tuque par-dessus l’oreille, chez ton vieux père, j’arrivais.
Au trot de ma vieille jument, veiller chez vous à Saint-Constant. »

Elle :
« Je m’assoyais près de la fournaise, et bien émue, je t’attendais
Toi, tu plaçais toujours ta chaise, près de la mienne quand t’arrivais.
Bien trop proche, nous disait maman, qui chaperonnait en tricotant. »

Lui :
« Quand ta mère piquait son somme, avec son tricot sur ses genoux.
Et que ton père, le brave homme, fumant sa pipe, cognait des clous
Moi, je profitais de ce moment, pour t’embrasser bien tendrement »

 Elle :
« Tu m’embrassais, vieil haïssable! Et ta barbe me piquait le menton.
De t’arrêter, j’étais pas capable. Pour dire franchement, je trouvais ça bon.
En se réveillant, papa te chassait. Au bout de trois jours, tu revenais. »

Refrain :
« Dans le bon vieux temps, ça se passait de même
Ça se passait de même dans le bon vieux temps. »

IMG_20160421_0003Ce refrain me tourne souvent dans la tête quand je regarde mes photos du temps passé. Il est vrai que pendant longtemps, les fréquentations sérieuses, c’est-à-dire celles qui devaient conduire au mariage, étaient la plupart du temps les seules qui étaient tolérées dans les bonnes familles. D’abord faisons la distinction entre le « soupirant » et le « prétendant »; le soupirant n’a pas encore été admis à fréquenter la jeune fille qu’il convoite, alors il soupire! Tandis que le prétendant a reçu la permission « d’accrocher son fanal », comme on disait autrefois. Et il passe les « bons soirs » chez sa promise en observant les usages autant que les dix commandements de Dieu! Je reviens à l’essentiel de mon propos. Le soupirant devait demander aux parents la permission de courtiser  leur fille, en promettant que c’était pour le « bon motif ». Et alors commençaient les visites  du prétendant, les bons soirs, soit les jeudis, samedis et dimanches, ou autres, selon  les habitudes de la famille. Évidemment, même si les amoureux étaient seuls dans le salon, la porte restait ouverte et il y avait toujours un chaperon assis pas loin, pour avoir l’œil sur ce qui se passait, ou plutôt pour s’assurer qu’il ne se passait rien! Souvent le dimanche après-midi était réservé aux visites dans la parenté; il va sans dire que les jeunes gens  étaient accompagnés d’un frère ou d’une sœur, chaperonnage oblige! Des anecdotes à ce sujet laissent croire que les couples devaient souvent « acheter » la complicité des chaperons. Quand les surveillants étaient des enfants, des friandises pouvaient faire l’affaire. S’il s’agissait d’un frère ou d’une sœur plus âgés, il fallait parfois promettre  diverses récompenses, allant du prêt d’un bijou ou d’autre chose, jusqu’à l’échange d’une corvée plus ou moins désagréable. Les futurs mariés devaient ruser pour s’octroyer  quelques moments d’intimité. Les longues fréquentations étant déconseillées, on peut en déduire que les fiancés s’épousaient souvent sans vraiment se connaître. Mais, dans « le bon vieux temps », quand on se mariait, c’était pour la vie!

MadoJacDans ma jeunesse, quand on veillait « au salon », le chaperonnage était plus discret. Et dans la plupart des familles, on pouvait sortir ensemble, sans être accompagné… avec seulement promesse de se bien conduire et ne pas rentrer trop tard! Mais cette pratique variait selon les familles, ainsi j’ai souvenance d’avoir joué le rôle du chaperon, avec une amie, dont la mère était plus sévère. Quand la grande sœur allait au cinéma avec son prétendant, parfois nous devions les accompagner… Nous trouvions alors cette tâche très agréable! Et j’étais loin de penser que quelques années plus tard, ce serait mon tour de sortir avec un garçon en souhaitant ne pas être obligée de subir la présence d’un chaperon.

De mon temps, quand le soupirant arrivait chez les parents de sa bien-aimée, il était de bon ton de passer tout d’abord un moment dans la cuisine avec les futurs beaux-parents  pour jaser de choses et d’autres… et parfois aussi de prendre le temps de jouer une partie de cartes. Cet intermède donnait ainsi aux parents de même qu’au jeune homme l’occasion de faire mutuellement connaissance. Je me souviens cependant d’un certain soupirant qui écourtait autant que possible cette entrée en matière, où il se sentait comme observé à la loupe… Mais il fallait bien passer par là, ça faisait partie du processus de fréquentations « pour le bon motif »!

Ah oui, vraiment! Ça se passait de même dans le bon vieux temps!

© Madeleine Genest Bouillé, 25 avril 2016

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L’économie domestique, 2e partie

IMG_20160408_0003Dans le deuxième volume, on apprend d’abord que « la maison est l’abri et la protection de la famille. » On n’y va pas par quatre chemins : « L’individualisme, le communisme, la fascisme, le nazisme, le capitalisme mal compris et mal exercé sont les ennemis de la maison et de la famille. » Dans le premier chapitre, on nous met tout de suite sur la défensive : « La sécurité matérielle et économique exige des travaux de défense contre les multiples attaques qui sont d’abord, l’alcoolisme, la tuberculose, les maladies contagieuses, l’absence d’hygiène. Ensuite vient l’excès dans les amusements, les veillées trop nombreuses et trop prolongées, les sports qui s’attaquent aussi à la santé, les bavardages et les commérages. Un péril plus grand encore, peut-être, c’est la pression des réclames et des annonces… qui se traduit par la démangeaison d’acheter et de renouveler trop tôt certains articles. » On pointait déjà du doigt les ravages de la publicité abusive!

L’alternative à ces périls qui menacent la famille, c’est l’offensive pour promouvoir le bien. Je résume; c’est d’abord la morale et la religion : « Les parents feront la lutte à l’immoralité, en assurant  la bonne observance au jour du Seigneur… La famille fera une large part aux bonnes et simples vertus naturelles, telles la franchise, la sincérité et l’honneur. La vie intellectuelle mérite aussi une offensive. On donnera aux enfants l’avantage de fréquenter longtemps les écoles, le goût de la lecture; dans les programmes radiophoniques, on accordera la préférence aux causeries instructives. On surveillera les conversations pour en éliminer les propos risqués; les « illustrés » de certains journaux seront relégués à l’ombre ou jetés à la poubelle… »   

IMG_20160405_0005On en vient enfin à l’organisation matérielle de la famille. Un horaire journalier est proposé, qui ne laisse aucune place à l’improvisation : « 6h00 : lever des grandes personnes, toilette, prière et préparation du déjeuner.  6h30 : déjeuner des grandes personnes et lever des enfants. 7h00 : départ du père pour l’ouvrage. Les enfants déjeunent puis repassent leurs leçons. Les jeunes filles lavent la vaisselle du déjeuner. La mère lave les bébés et fait leur toilette. 7h30 : déjeuner des bébés suivi de leur « somme ». 8h00 : départ des enfants pour l’école et nettoyage quotidien des chambres par les jeunes filles, autre travail pour la mère. 9h00 à 10h30 : occupation hebdomadaire (voir le tableau suivant). 10h30 : préparation du dîner. Midi : dîner. 12h30 : lavage de la vaisselle, la mère couche les bébés. 1h00 : rangement de la vaisselle et de la salle à manger. 1h30 : toilette de l’après-midi.  2h00 : promenade des bébés, couture ou travail d’imprévu, les bébés sont confiés aux jeunes filles ou installés pour jouer à portée de la vue. 4h30 : retour des enfants de l’école. Goûter. Récréation au grand air. 5h00 : étude des enfants, la mère et les filles préparent le souper, le père revient du travail. 5h30 : souper des bébés et leur coucher. 6h00 : souper de la famille. 6h30 : lavage de la vaisselle, rangement de la cuisine et de la salle à manger, les enfants jouent. 7h30 : prière du soir en famille. Veillée dans la salle, les enfants font leurs devoirs, la mère et ses filles causent ou font quelque travail d’agrément. Le père lit son journal. Entre 9h00 et 10h00 : coucher de la famille. » Espérons que le père n’a pas été dérangé dans la lecture de son journal…

IMG_20160405_0003Le manuel décrivait ensuite l’horaire hebdomadaire de la maîtresse de maison. Cet horaire précis m’intriguait car il ne ressemblait en rien à ce que nous vivions chez nous, sauf le lavage du lundi… qui se prolongeait parfois le mardi!  « Lundi : lavage. Mardi : repassage. Mercredi : raccommodage et confection. Jeudi : Confection ou sortie pour emplettes et visites. Vendredi : ménage d’une partie de la maison : les chambres et le salon. Samedi : Ménage des autres pièces : salle, cuisine, chambre de bain, toilette, etc. » On ne parle évidemment pas du dimanche qui étant le jour du Seigneur, implique la messe, le dîner en famille; dans l’après-midi,  on reçoit ou on visite la parenté… et le soir on assiste aux Vêpres!

IMG_20160405_0007Un des derniers chapitres parle des RÈGLES DU SAVOIR-VIVRE. L’enseignement s’étend du « salut à la poignée de main, de la politesse au téléphone, et on en vient aux réceptions et relations de société. » On y parle des « soirées intimes », des « fêtes de famille », des « visites » et même de la « correspondance ». L’étiquette était très précise selon qu’on recevait des parents, des amis intimes ou d’autres personnes, et c’était la même chose pour les visites. Je vous livre un extrait du paragraphe « soirées intimes » : «Ces réunions révèlent plutôt un caractère d’intimité. Tout en causant on partage le temps agréablement entre les travaux à l’aiguille, les jeux d’esprit, le chant et la musique; des cartes et des tables sont à la disposition des amateurs de jeux. »

Au chapitre des Fêtes de famille, on souligne ceci : « Il est du devoir de la maîtresse de maison de maintenir et de respecter les liens de la plus douce fraternité, et de voiler tout ce qui contrarie l’affection entre les frères et les sœurs. Les principaux anniversaires, célébrés en commun, sont des évènements qui auréolent de joie le front parfois trop attristés de nos aïeuls. » Ensuite vient le délicat chapitre des « visites ». Des visites « du jour de l’An aux visites de condoléances, on passe par les visites de départ et de retour de voyage, visites aux malades, visites de retour de noces et visites de convenances ». Il y en a pour trois pages!

Nous arrivons enfin au chapitre de la correspondance. Au temps où le téléphone encore récent était utilisé surtout pour affaires et conversation urgentes, donc brèves, on écrivait beaucoup!  On écrivait aux membres de la famille absents, on écrivait aussi des « lettres de civilité » : lettres de remerciements, annonce d’un événement heureux ou malheureux, pour exprimer nos vœux de bonne année ou d’anniversaire, invitation, etc. Il y avait évidemment les lettres d’affaires, telles les lettres de demande d’emploi, pour lesquelles je me souviens qu’il existait des formules spéciales. Il me revient une anecdote; en 9e année, nous avions eu comme devoir d’écrire une lettre pour postuler un emploi. Une élève, un peu moins habile, avait débuté ainsi sa lettre : « Bien-aimé Monsieur… » La religieuse aurait pu lui faire ses remontrances en privé, mais non, elle avait lu le début de la lettre en pleine classe, en soulignant  la bévue. Toutes, nous avions éclaté de rire! Sauf l’élève en question qui était devenue rouge comme une tomate… et qui s’efforçait de sourire, gênée, ayant plutôt envie de pleurer.  Le genre de situation dont on se souvient et dont on n’est pas très fière…

IMG_20160405_0001Il y aurait encore beaucoup à dire sur les cours d’Économie Domestique. Quand nous finissions nos études, nous étions supposées avoir toutes les qualités nécessaires pour être des femmes accomplies, prêtes à occuper un emploi, d’enseignante, d’infirmière ou de secrétaire… évidemment, en attendant le « prince charmant », qui nous transformerait en épouse et mère de famille!

© Madeleine Genest Bouillé, 8 avril 2016

L’économie domestique, 1ère partie

Quand j’étudiais au couvent, les élèves de l’Académie – 8e à 12 années – avaient comme matière de cours, l’Économie Domestique, avec deux majuscules! J’ai encore les trois manuels avec lesquels nous devions étudier cette science, car science il y a! Dans l’avant-propos du livre que nous avions en 9e année, on décrit ainsi l’économie domestique : « …la science de la vie pratique, qui comprend toutes les connaissances nécessaires à la femme pour produire autour d’elle le bien-être, l’aisance, le bonheur : pour établir dans son foyer, l’ordre, la dignité, la paix. » Avouez que c’est tout un programme!

Illustration tirée d'une revue de 1958.

Illustration tirée d’une revue de 1958.

Dès la première page, nous  abordons « le rôle de la femme au foyer », tout d’abord avec écrit en majuscules, MISSION DE LA FEMME. Quelques lignes seulement : « D`après le plan divin, la femme, comme la flamme, est donc faite pour le foyer; si elle y reste, a dit quelqu’un, elle éclaire, réchauffe et réjouit… De même, le foyer est fait pour la femme.  C’est son domaine, elle y règne sans autre sceptre que sa vertu et sans autre édit que ses exemples. » Je vous fais grâce des vertus de l’épouse. Le manuel date de 1950; à cette époque, la guerre qui a fait sortir bien des femmes de leur maison pour travailler dans les usines, leur a aussi fait découvrir qu’elles pouvaient se réaliser à l’extérieur de leur foyer, et que de plus, ça rapportait! On veut donc tenter de leur faire reprendre le chemin du foyer… et les convaincre de l’importance du rôle qu’elles y jouent.

La "cuisine idéale" de l'époque!

La « cuisine idéale » de l’époque!

Dans le chapitre premier, on aborde le choix de la maison : « La maison, c’est le sanctuaire des plus pures affections, l’héritage que l’homme reçoit de ses ancêtres. Dans le plan divin, elle est destinée à être le sanctuaire de la famille. » Les auteurs de ces manuels ne laissaient rien au hasard. On parle de l’acquisition de la maison, du choix, soit de la construction d’une nouvelle habitation ou de l’achat d’une maison déjà construite. À propos du choix d’un logement, après les considérations financières, on énumère les autres considérations que voici : « 1. Le lieu du travail du chef de famille et la recherche, si possible, d’un logement à proximité d’un marché et des différents fournisseurs, sans oublier l’église et l’école. 2. Prendre en considération la facilité et la rapidité des communications ainsi que le voisinage d’une gare d’autobus ou de tramway. 3. Choisir son habitation de manière à y faire le plus long séjour possible. » Et on conclut avec ceci : « Un homme qui déménage souvent ne peut prospérer autant que celui qui est stable. » Au chapitre suivant, on fait le tour de la maison, de la cave au grenier, murs, plafonds, éclairage et chauffage compris. Ensuite on s’arrête dans chacune des pièces, pour parler du mobilier, de la décoration et de l’entretien, sujet qui s’étend sur plusieurs dizaines de pages.

Illustration de 1944.

Illustration de 1944.

Le chapitre 4, consacré au vêtement, parle des tissus, de leur entretien, de l’art de s’habiller, et bien entendu, de la confection de ces vêtements, sans oublier le rangement des armoires. Si les tissus de l’époque étaient plus résistants, ils étaient aussi plus difficiles d’entretien, aussi ce chapitre nous fait des recommandations pour les soins journaliers : « 1. Secouer les vêtements mis la veille ou donner un brossage superficiel, sans exagérer pour ne pas user le linge.  2. Suspendre les vêtements qui ne seront plus portés le jour même.  3. Le soir, au coucher, accrocher les robes, les paletots et même les sous-vêtements, afin qu’ils s’aèrent.  4. Examiner les vêtements des enfants tous les soirs, remplacer les effets qui sont tachés ou usés par d’autres plus propres.  5. Ne pas déposer à plat sur la table des chapeaux mouillés, les placer sur un support (bouteille ou pot, à défaut d’une patère).  6. Remplir les souliers mouillés d’un chiffon sec, les laisser sécher lentement loin du feu. »  Et j’en passe! On constate que la journée de la ménagère devait parfois finir très tard!

Dans ce manuel, j’ai trouvé une feuille d’examen pliée en quatre… L’écriture est encore enfantine; il est vrai que je n’avais que 13 ans. J’ai reçu pour ce travail une note de 93%; j’avais 98%, mais j’ai perdu 5 points pour des fautes d’orthographe, dont deux oublis d’accent aigu. Les fautes comptaient dans toutes les matières. Voilà, pour la première partie de ce grain de sel sur l’économie domestique!

Je vous reviens bientôt pour vous parler de l’horaire de la maîtresse de maison, ainsi que des sorties et autres distraction familiales.

© Madeleine Genest Bouillé, 7 avril 2016.

Image de printemps

Numériser0003La fabrication du savon.
Dans un grain de sel du printemps dernier, où je vous parlais du « grand barda du printemps », j’ai mentionné la fabrication du savon domestique. Sur la photo ci-jointe, on peut voir Madame Élise Proulx-Thibodeau, en train de brasser son savon. Elle avait plus de 80 ans, la photo datant de la fin des années 30; je n’ai malheureusement pas de précision à ce sujet. Madame Thibodeau était la mère d’Aurore Thibodeau, mariée à Lauréat Laplante en 1915, ils demeuraient dans la maison bâtie par les Thibodeau, au 215, Chemin du Roy. Une petite anecdote en passant… Quelques-uns des frères de Madame Thibodeau avaient, comme beaucoup de Québécois de cette époque, émigré aux États-Unis, dans les environs de Boston, à Lowell et Fall-River. Comme on le sait, quand « la visite des États » s’amenait, ils apportaient avec eux des anglicismes qu’ils étaient très fiers de parler devant la parenté. Ainsi, ils avaient anglicisé le nom de leur sœur; Élise était donc devenue Lyser… Et je me souviens, étant enfant, de la façon dont les gens rappelaient cette petite femme, qui avait paraît-il beaucoup de caractère; on la nommait « Memére Liseur ». Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai su son vrai prénom.

fete sucreLe temps des sucres.
La belle jeunesse de Deschambault, en 1944. Cette photo comme plusieurs de la même époque, me vient de Marie-Paule Laplante, fille des précédents, qui a demeuré à Trois-Rivières après son mariage en 1951. La fête avait lieu à la sucrerie de la famille Bouillé, étant donné que Marie-Paule était l’amie de Marie-Claire Bouillé, la deuxième fille de la famille de mon époux. D’ailleurs je reconnais quelques membres de cette famille, ainsi que Rolande Paré, fille de Louis. Quand je cherche une ou l’autre photo ancienne, je m’arrête toujours sur celle-ci. Le photographe qui a croqué cette scène a sans le savoir fixé dans le temps une image qui raconte un moment de vrai plaisir! C’est l’une de mes photos préférées.

IMG_20160313_0004Le printemps est arrivé!
Derrière cette photo, maman avait écrit « Le printemps est arrivé, mars 1950 ». C’était le premier printemps où nous demeurions dans la maison de la rue Johnson. Les deux jeunes, Georges et Fernand, portent encore manteau et chapeau d’hiver, mais il devait y avoir des signes de printemps déjà, car Florent ne porte pas de manteau et il est nu-tête. Florent était le météorologue de la famille. Dans les dernières années où il vivait, je lui avais rappelé cette photo et il m’avait confirmé que le mois de mars de cette année-là était particulièrement doux. Et si Florent l’a dit… c’est parce que c’était vrai!

IMG_20160209_0006Ah! la mode!
La mode a toujours eu de ces extravagances…. dans les magazines, on voit des choses que moi je ne trouve absolument pas portables. Mais il y a 50 ans et plus, la mode nous imposait aussi ses bizarreries. Par exemple, passé le 15 août, on rangeait les chapeaux de paille ainsi que les accessoires blancs, et cela même s’il faisait aussi chaud sinon plus qu’en juin. On sortait les chapeaux de velours ou de feutre et les accessoires noirs ou bruns. Au printemps, on faisait l’inverse. À Pâques, on sortait le tailleur de couleur pastel et un chapeau de paille, autant que possible avec profusion de fleurs, et cela même s’il gelait ou s’il neigeait! Vous voyez sur cette photo une image découpée dans la Revue Populaire d’avril 1946. Aimez-vous le chapeau, style « tarte »? C’était ça, la mode!

IMG_20160313_0005Ce qui arrive quand Pâques tombe en mars…
La photo date de 1955. Elle a été prise le jour de Pâques. Vous voyez ce que ça donne un chapeau de paille avec un manteau d’hiver! J’étrennais ce petit chapeau qui était rose. J’étais supposée le porter avec mon manteau de printemps qui était beige. Pâques tombait comme cette année à la fin de mars. Je sortais d’un de mes interminables rhumes… et maman avait dit : « Non! Tu mets ton manteau d’hiver, il fait pas assez chaud pour sortir ton manteau de printemps. D’ailleurs tout le monde est encore habillé en hiver! » Je boudais et je ne voulais pas que ma sœur prenne la photo. Pour me donner le bon exemple, elle s’était fait photographier avec son manteau gris – celui d’hiver, et son chapeau de paille blanc. Mais moi, je trouvais qu’avec le col en fourrure (du lapin ou je ne sais quoi), le chapeau de paille avait l’air incongru. Un de mes frères, qu’on ne voit pas… tente de me faire rire et je ne veux pas. En plus la photo a été prise après la messe, juste avant dîner; étant ainsi face au soleil, j’ai fermé les yeux… Pour moi, c’est une photo qui parle beaucoup!

On n’a pas fini de parler de Pâques… à bientôt!

© Madeleine Genest Bouillé, 13 mars 2016

Le Carême avant la Révolution tranquille

Le Mardi-gras à la campagne, illustration de Edmond-J. Massicotte. Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2895476.

Le Mardi-gras à la campagne, illustration de Edmond-J. Massicotte. Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2895476.

La veille, au cours de la soirée, il était venu tout plein de personnages peinturlurés, vêtus de costumes grotesques et loufoques, qui riaient, parlaient fort et chantaient. Les filles de la maison offraient du sucre à la crème et des bonbons aux patates, tout en essayant d’identifier les « Mardi-Gras ». Papa sortait son vin de cerise… il fallait bien recevoir cette visite rare! On nous avait envoyés au lit, mais on s’était cachés en haut de l’escalier pour regarder, au travers des barreaux de la rampe, ce spectacle inusité. C’était le Mardi-Gras! Contrairement à l’Halloween, il s’agissait plutôt d’une fête pour les adultes qui profitaient de cette occasion pour faire le plein de réjouissances quelque peu arrosées, et ce avant minuit, heure à laquelle commençait le mercredi des Cendres, le début du Carême!

Pour les jeunes comme pour les plus vieux, le Carême était un temps de pénitence et de privations qui durait quarante jours. Certaines bonnes dames, « plus catholiques que le Pape », comme on disait dans le temps, allaient jusqu’à peser leur nourriture à chaque repas. Les repas du matin et du soir ensemble ne devaient pas dépasser en poids le repas principal qui était celui du midi. Si on ajoute à cela les sacrifices de desserts, de sucreries, de boisson alcoolique pour les hommes, et de bien d’autres choses encore, selon l’esprit de mortification des bonnes gens de l’époque, quand la fête de Pâques arrivait, c’était dans tous les sens du terme, une vraie résurrection!

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Église Saint-Joseph, 1958.

Les enfants étaient aussi fortement invités à faire des sacrifices. Cela pouvait varier, allant de l’assistance à la messe en semaine, si on ne demeurait pas trop loin de l’église, au partage des tâches dans la maison pour les filles. Pour les garçons, les bonnes actions allaient du remplissage de la boîte à bois au pelletage de l’entrée, et de bien d’autres choses, surtout si on vivait sur une ferme. L’important pour qu’il y ait « sacrifice » était justement le fait d’accomplir une tâche particulièrement détestable ou de se priver d’une chose à laquelle on tenait beaucoup. Au couvent, les pensionnaires étaient invitées à aller prier à la chapelle dans leurs temps libres, tandis que pour les externes, des visites à l’église nous étaient fortement conseillées, ce que nous faisions parfois après les cours. Je dois avouer cependant que la piété n’était pas toujours au rendez-vous. Ainsi, un beau jour, avec quelques amies, nous avions décidé de nous amuser un peu au cours de cette visite. Nous croyant seules dans le lieu saint, il nous prit l’envie de faire le chemin de croix, mais à l’envers… imaginez nos fous rires! Les plus téméraires voulant en rajouter entreprirent de monter dans la chaire, endroit interdit entre tous! Malheureusement, à l’époque, il y avait souvent des bonnes dames qui venaient prier à l’église. Notre méfait fut donc découvert et rapporté aux religieuses, lesquelles nous réprimandèrent assez sévèrement… nul besoin de vous dire qu’il n’y eut pas de récidive!

Mes grands-parents, Blanche et Tom, endimanchés pour aller à l’église.

Mes grands-parents, Blanche et Tom, endimanchés pour aller à l’église.

À la fin de cette longue période de jeûne et de mortifications, venait la Semaine Sainte avec les longs offices religieux, qui étaient alors tous en latin. Les trois premiers jours de notre congé de Pâques se passaient à l’église pour une bonne partie. Et enfin arrivait le dimanche de Pâques, la fête tant attendue! Chez nous, on chantait sur l’air de l’Alleluia pascal : « Alleluia! Le Carême s’en va. On mangera plus de la soupe aux pois, on va manger du bon lard gras. Alleluia! » Nous, les enfants, on remplaçait le « bon lard gras » par du « bon chocolat »… tellement plus appétissant! Qu’elles étaient bonnes, les friandises quand ça faisait quarante jours que nous en étions privés!

© Madeleine Genest Bouillé, 1er mars 2016

Jeux d’hiver

IMG_20160104_0008J’ai tellement parlé des jeux d’été… il faudrait bien que je parle de ceux qui égayaient nos hivers. Surtout maintenant qu’on a de la neige! Quand j’étais jeune, les jeunes filles et les jeunes gens faisaient du ski. À Deschambault, s’il n’y a pas de montagne digne de ce nom, on a bien quelques buttes, et il était toujours possible de faire du ski de fond. Je ne connais pas la jeune fille qui pose pour cette photo, mais elle vivait à Deschambault, dans les années 40.

IMG_20160119_0008Quand on avait des vieux skis cassés, s’ils étaient d’une certaine longueur, on les coupait, on y clouait une bûche – écorcée ou non, et une planche de travers qui servait de banc; et voilà! On avait un « traîne-fesse » ou un « branle-cul », si le mot ne vous offusque pas. C’est dommage, je n’ai malheureusement pas de photo de ce bolide qui amusait une bonne partie des jeunes de mon époque. Chose certaine, on était inventif dans le temps, il n’est que de voir le superbe petit traîneau dans lequel on promenait mon petit frère qui avait à peine deux ans sur la photo; une « boîte à beurre » fixée solidement sur un petit traîneau, ça faisait l’affaire!

IMG_20160119_0004Quand la neige est « mottante », comme on disait dans le temps, il n’y a pas de plaisir qui égale celui de faire un beau bonhomme de neige. Avec mes amies Colette et Madeleine, nous en avions fait un; d’après mes souvenirs, nous y avions mis beaucoup de temps. Il n’était pas rond, comme la plupart de ses pareils, c’était un grand bonhomme élancé, la taille fine… Pour qu’il soit encore plus grand, il avait une chaudière rouge sur la tête. Heureusement, Madeleine était grande, car Colette et moi n’aurions jamais été capables de finir la tête! Cette photo a été immortalisée sur une toile de Colette, qui est peintre; elle y a ajouté un petit chien… comme elle le fait sur presque toutes ses œuvres.

ballon balai 67-70Dans ma jeunesse, le sport d’hiver à la mode était le ballon-balai. C’était nouveau et tout le monde pouvait jouer. Au début, les garçons – et aussi les filles – jouaient chaussés de bottes d’hiver ou de « claques ». Un peu plus tard, on eut l’idée de coller des morceaux de « styrofoam » en dessous de simples espadrilles. Enfin, ce sport devint lui aussi « organisé », les joueurs et joueuses étant alors équipés de chaussures adaptées et de casques protecteurs, car ça peut frapper dur un ballon gelé! La photo qui date je crois de 1967, a été prise lors d’un tournoi à St-Léonard… on peut voir les joueurs de l’équipe gagnante, de Deschambault. L’autre photo date des années 70, les joueurs sont plus jeunes, on y voit quelques membres de la famille Parent et on reconnaît le « coach », le regretté Marc Gariépy, qui ne ménageait pas son temps pour encourager les jeunes dans les sports d’équipe, été comme hiver!

IMG_20160119_0006Dans mon livre Propos d’hiver et de Noël, dans le texte Au temps du ballon-balai, j’évoque aussi les carnavals de l’O.T.J. Je n’ai pas de photos de ces activités carnavalesques et des bals avec les duchesses et les intendants, et c’est vraiment dommage; elles avaient beaucoup d’allure nos duchesses vêtues de leur costume de sport ou de leur robe de bal. Dans les années 90, après une éclipse de presque vingt ans, le Club Optimiste a fait revivre pour un temps le carnaval d’hiver. On voit ici une soirée carnavalesque en 1995, les sièges des duchesses sont encore vides… mais on peut voir le maire qui remet les clés de la municipalité au Bonhomme Carnaval, selon la coutume!

fete sucreQuand on aime l’hiver, on en profite jusqu’à la fin! Ainsi comme on peut le voir sur cette photo des années 40, quoi de plus amusant qu’une partie de sucre! Je ne reconnais pas tous les participants à cette belle activité où tout le monde semble très heureux… Ça se passait à Deschambault, je sais que certains sont décédés, d’autres ont aujourd’hui quatre-vingt ans et plus. Ça donne envie de chanter : « En caravane, allons à la cabane, on n’est jamais de trop pour goûter au sirop… au bon sirop d’érable! »

© Madeleine Genest Bouillé, 21 janvier 2016

Il y en avait de la neige!

Moi et deux fillettes du voisinage, Nicole Paquin et Anita Marchand, devant la maison de M. Laplante.

Moi et deux fillettes du voisinage, Nicole Paquin et Anita Marchand, devant la maison de M. Laplante.

Oui mes amis, il y en avait de la neige, dans mon jeune temps! Quand j’allais à l’école, les bancs de neige étaient deux fois plus hauts que moi! Sans mentir, je vous l’assure. Mais je dois ajouter que j’étais haute comme trois pommes, alors bien entendu, les « bordages » montaient vraiment plus haut que ma petite personne. C’est souvent comme ça, les souvenirs! Quand on était petit, tout était plus gros, plus grand, plus haut… les hivers étaient plus longs, plus froids, les tempêtes étaient plus… « tempétueuses »! Ne cherchez pas ce mot dans le dictionnaire, je viens de le fabriquer, car je ne trouvais pas de mot pour décrire les superbes tempêtes qui duraient parfois deux ou trois jours. L’électricité était coupée, le téléphone aussi… nous, les enfants, trouvions amusant de veiller à la lueur de la lampe à l’huile et comme on avait tous un poêle à bois et aussi pour la plupart, une fournaise dans la cave, les températures froides des lendemains de tempête ne nous dérangeaient absolument pas!

Moi et Marie-Paule Laplante, devant la maison de son père Lauréat (#215, chemin du Roy).

Moi et Marie-Paule Laplante, devant la maison de son père.

Si on se réfère aux statistiques, les hivers étaient généralement plus neigeux que maintenant. Dans les « fenêtres à six vitres », comme il en existait dans la plupart de nos vieilles maisons, il était fréquent que la neige atteigne les deux carreaux du milieu. Je regardais des photos d’enfance, prise en 1946 ou 47, près de la maison de M. Lauréat Laplante – aujourd’hui le 215 sur le Chemin du Roy; il faut admettre que le banc de neige en avant de la maison est assez impressionnant. On jouait sur le terrain voisin, du côté ouest de la maison, et parfois on se rendait jusqu’au « champ du curé », à l’endroit où s’élève le H.L.M et les Jardins du Cap Lauzon. Sur ce terrain, il y avait un très vieux pin qui se dressait tout seul, au beau milieu du champ, seul témoin d’un siècle où l’on comptait sans doute plus d’arbres que d’habitants dans notre patelin! Comme je le trouvais beau, ce grand arbre fier et solitaire!

Juste à côté de la maison de Lauréat, le chemin du Roy enneigé (on voit à l'arrière-plan, la maison qui abrite aujourd'hui le magasin d'antiquités).

Juste à côté de la maison de Lauréat, le chemin du Roy enneigé (on voit à l’arrière-plan, la maison qui abrite aujourd’hui le magasin d’antiquités).

Les premières années où j’allais à l’école, je me hâtais toujours car j’avais tellement peur de rencontrer la charrue ou la souffleuse. J’en avais une peur bleue! On m’avait raconté qu’à Montréal, une fillette ayant été happée par la souffleuse, le conducteur ne s’était aperçu de l’accident que lorsqu’il avait vu sortir la neige rougie par la cheminée de l’engin. Pendant longtemps, en me couchant le soir, je voyais cette image dans ma tête et j’y pensais chaque jour en me rendant au couvent. On nous contait ces histoires d’horreur dans le but de nous apprendre la prudence. Évidemment, les grandes personnes étaient remplies de bonnes intentions et ne pouvaient pas imaginer que cela pouvait avoir aussi un effet négatif. J’ai traîné pendant plusieurs hivers cette peur des machines à déneiger. Dès que j’entendais le bruit d’un gros moteur, je courais à perdre haleine, ne ralentissant que lorsque j’avais tourné le coin de la « maison du notaire », ayant enfin atteint la rue de l’Église.

Heureusement, les inconvénients de l’enfance passent très vite! On grandit, et alors, le monde extérieur nous semble moins imposant, moins intimidant. Les bancs de neige sont moins hauts… On ne sent plus le besoin de courir dès qu’on entend venir le chasse-neige. Le chemin de l’école est devenu plus court et moins ardu! On aime toujours l’hiver, mais on joue moins dans la neige. Et le soir, on s’endort paisiblement, car il n’y a plus d’images épeurantes pour troubler notre sommeil et hanter nos rêves! Un penseur a dit : « On ne se guérit pas de son enfance ». C’est vrai, mais les souvenirs qu’on en garde ont cessé de nous faire trembler.

© Madeleine Genest Bouillé, 9 janvier 2016