Le temps des jeux

EnfantsjouantComme je l’ai déjà mentionné, notre famille comptait dix enfants. À l’époque où se situe cet épisode, il y avait « les grands » et « les plus jeunes », c’est-à-dire, les six derniers, dont je faisais partie, nés entre 1940 et 1947. Imaginez : cinq gamins, débordant d’énergie et d’imagination, qui s’amusaient avec tout ce qu’ils trouvaient, aussi bien au-dedans qu’au dehors de la maison. Il m’arrivait de participer à leurs jeux auxquels se joignait notre chien, Bruno, lequel se laissait habiller et photographier, sans broncher et sans rouspéter.

scenecombatTout ce que notre vieille maison recelait, y compris le hangar aussi vétuste, était utilisable pour les jeux des enfants. Tenez, jusqu’au gros tas de bois contre la maison, qu’on n’avait jamais fini de corder, et qui devenait un fort, d’où l’on pouvait surveiller au loin, c’est-à-dire au-delà de la grange, l’arrivée des Sioux. Les champs, délimités par des clôtures de perches dont il manquait des bouts, étaient à plusieurs endroits bordés de bosquets, composés surtout de cerisiers sauvages, de cenelliers et de trembles. Ils étaient de plus parsemés de grosses roches qui témoignaient que dans des temps immémoriaux, il y avait sans doute eu à cet endroit un lac ou un étang, comme en témoigne aussi la légère dépression du sol à cet endroit. Mais ce merveilleux décor était, vous en conviendrez, l’idéal pour les expéditions guerrières des pionniers contre les Sioux!

CowboysSiouxMon frère, le huitième, possédait un petit appareil photo, qu’il maniait avec déjà beaucoup d’adresse; et c’est grâce à ses albums que j’ai pu retracer maintes aventures de l’enfance et de l’adolescence de mes frères et de leurs amis. Les images où l’on voit d’abord les échanges commerciaux entre les « Visages pâles » et les Indiens, se changent très vite en scène de guerre, saisissantes de vérité! Les garçons qui participaient à ces jeux prenaient leur rôle très au sérieux, comme on peut le constater. Costumes plus ou moins typiques – on portait ce qu’on avait, bandeau garni de plumes, peintures de guerre… tout y était. Pour rendre plus réels les gestes et les expressions de leurs personnages, ils s’étaient inspirés des épisodes de la série télévisée The Lone Ranger, que mes frères allaient regarder chez leurs amis qui possédaient déjà un appareil, les chanceux! À l’époque, il était considéré comme normal que les garçons s’amusent avec des pistolets « à cap » comme on disait, pour désigner ces petits rouleaux de pétards qui « pétaient » comme une vraie arme à feu. Ces jeunes qui se tuaient mutuellement à longueur de journée durant les vacances, étaient les meilleurs amis du monde et sont devenus des adultes tout à fait pacifiques. Quelle que soit l’époque, les jeunes ont toujours aimé reproduire les gestes de leurs héros.

BrunotoutouNotre photographe avait aussi un sens de l’humour très particulier, c’est pourquoi il prenait souvent des photos de Bruno, le chien, habillé et coiffé d’un vieux chapeau de paille et posant soit avec nous ou encore avec les vieux toutous qui faisaient partie de la famille. Quelques années plus tard, il prit plaisir à créer des scènes navales qu’il photographiait sur le bord du fleuve avec des modèles réduits de bateaux qu’il avait fabriqués avec grand soin et beaucoup de patience.

orchestreAvec les années, les jeux ont évolué… Fini les films de cow-boys! Elvis Presley est arrivé et avec lui, l’époque du rock’n’roll. Combien de jeunes garçons ont alors commencé à jouer de la guitare en s’exerçant à reproduire les gestes et les mimiques de ce fameux chanteur américain! Mes jeunes frères n’ont pas échappé à cette influence et c’est alors que parmi les anciens cow-boys et Indiens, quelques-uns se sont retrouvés dans un orchestre rock! Pas très longtemps, car malheureusement, les études ont dispersés les copains et l’orchestre a manqué de musiciens!

glaceQuelquefois, les gars se retrouvaient pour faire des prouesses… qui resteront dans la mémoire, grâce aux photos. Ainsi, au printemps, quoi de plus amusant qu’une promenade en chaloupe au travers des glaces flottantes, c’est pourquoi une photo les montre, juchés sur une plaque de glace, pour le plaisir… parce que déjà, on a le goût de voyager sur le fleuve et, qui sait, y gagner sa vie! Au cours de l’été, avec les amis retrouvés, on faisait encore des ballades sur le fleuve et au vieux phare de l’îlot Richelieu. Était-ce juste par fanfaronnade ou dans le but de faire une belle photo ? Mais sur une des photos, on voit trois joyeux lurons qui posent fièrement sur l’une des bouées qui balisent le chenal des bateaux. Même en noir et blanc, vous admettrez que ça fait une belle image! C’était « Le temps des jeux », immortalisé dans quatre albums de photos, et qui s’étale de 1956 à 1963.

© Madeleine Genest Bouillé, octobre 2015 (Photos de © Fernand Genest)

guitare

Mon frère, Fernand, à qui revient le crédit de toutes ces images.

Ces chansons que mon père chantait

J’ai mentionné plus d’une fois le fait que mon père avait une très belle voix et qu’il chantait volontiers dans les réunions de famille ou tout simplement à la maison quand il en avait envie. Quand il travaillait à la Ferme-école de Deschambault, il faisait partie du chœur de chant à l’église, ce dont il était fier. Dans sa jeunesse, il avait étudié la guitare. Tout comme les plus jeunes de la famille, j’ai connu mon père alors que déjà il travaillait à Montréal et que nous le voyions seulement en visite et au cours de ses vacances. À cette époque, je ne me souviens pas de l’avoir vu jouer de la guitare. Par contre, à ma connaissance, nous avons toujours eu un piano sur lequel maman et ma grande sœur jouaient fréquemment. Plus tard, j’ai pianoté à mon tour, ainsi que l’avant-dernier de mes frères qui, parfois, nous accorde encore le plaisir de l’entendre chanter en s’accompagnant… plaisir trop rare! Nous étions très jeunes quand nous avons été entraînés à chanter dans les fêtes de famille. Je garde précieusement une cassette audio, copiée d’après un enregistrement sur ruban qui date des années cinquante. Le son est vraiment mauvais, mais c’est toujours avec une certaine émotion que j’entends la voix de mon père, celle de mes tantes, ainsi que nos voix enfantines qui chantent avec application les vieux Noëls. Sans doute est de ce temps-là que trois de mes frères et moi avons acquis le goût du chant choral.

Mon père chantait surtout des balades sentimentales, mais on lui demandait parfois un des chants patriotiques qu’on retrouve dans La Bonne Chanson. Il s’agit d’une des mélodies les plus difficiles à chanter que je connaisse; elle a pour titre : Les noms canadiens. Tout au long des cinq couplets défilent les noms des ancêtres d’une bonne partie des familles québécoises. À la fin du cinquième couplet, mon père devait être heureux d’y retrouver le patronyme de la famille de sa mère, qui s’appelait Alvine Frédénia Pelletier. Chaque fois qu’il chantait cette chanson, nous l’écoutions avec attention, nous demandant chaque fois comment il faisait pour ne pas se tromper dans tous ces noms; imaginez, chaque couplet en compte vingt-huit! Si vous avez les cahiers de La Bonne Chanson, cette chanson se trouve dans le premier cahier, à la page quatre.

Brise des nuitsParmi les mélodies que mon père chantait, celles dont je me souviens le plus et que j’affectionne particulièrement sont, tout d’abord, Serenata de Enrico Toselli, une très belle sérénade comme son nom l’indique : «Viens, le soir descend et l’heure est charmeuse… viens, toi si frileuse, la nuit déjà comme un manteau s’étend. » André Rieu en fait une magnifique interprétation au violon, avec un accompagnement de chants d’oiseaux. J’aimais bien aussi Vienne, ville d’amour, une jolie valse entraînante. Une autre chanson qui me ramène bien des années en arrière, c’est Brise des nuits. Les auteurs, P. Théolier pour les paroles et Alfred d’Hack pour la musique, me sont inconnus. J’ai souvent pensé que mon père chantait cette romance pour notre mère, à cause des paroles : « Celle que j’aimais si rieuse, a-t-elle gardé sa gaieté? Si tu la vois seule et pensive… Dis-lui que malgré les années, son nom ne s’est point effacé, de mon cœur où se sont fanées, toutes les roses du passé. Envole-toi vers cette femme, brise des nuits!… Avec mon cœur, avec mon âme, moi je te suis. » Papa était un romantique, alors quoi de mieux qu’une belle chanson pour exprimer ses sentiments!

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

« Ah! C’était un p’tit cordonnier! »

Maison de mon grand-père, Edmond

Maison de mon grand-père, Edmond « Tom » Petit, le cordonnier, en 1903. © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

« Ah! C’était un p’tit cordonnier, qui faisait fort bien les souliers… il les faisait si drette, si drette… pas plus qu’il n’en fallait! » Cette photo de la maison d’Edmond Petit, mon grand-père maternel, a été prise l’année de son mariage avec Blanche Paquin en 1903. Mon grand-père, que tout le monde appelait « Tom », était cordonnier, comme le témoigne l’enseigne suspendue au coin de la maison. Comme le petit cordonnier de la chanson, il n’était pas grand, mais « il faisait fort bien les souliers ». Autrefois, chaque village avait son cordonnier, de même qu’un forgeron, un boucher, un menuisier, une modiste de chapeau et combien d’autres gens de métiers, tous indispensables. Non seulement le cordonnier réparait les chaussures, mais au début du siècle, il fabriquait souliers et bottes. Au fil des ans, la commercialisation des vêtements et des chaussures, s’étant installée jusque dans les villages, le cordonnier ne faisait plus que des réparations. Je me souviens de la boutique de cordonnerie de mon grand-père… il y avait des formes en métal de différentes grandeurs qu’il posait sur un pied, puis, il y plaçait le soulier à réparer. Le travail le plus courant était le remplacement des talons usés, ou bien, des coutures à repriser. Pour que les chaussures s’usent moins vite, il posait au bout de la semelle et au talon un petit fer, qui claquait à chaque pas. Je me souviens qu’on m’avait fait mettre ces fers en dessous des souliers que je portais pour aller à l’école… Quand je m’entendais marcher, j’étais tellement gênée! Mais, effectivement, les chaussures duraient plus longtemps. Après le décès de ma grand-mère, en 1951, mon grand-père qui ne rajeunissait pas, a cessé graduellement de réparer les souliers des clients qui se faisaient plus rares… modernité oblige! Il est décédé en 1957 à l’âge de 87 ans. Avril 2015