Mes ancêtres Genest, ces inconnus…

Alvine et Joseph Genest, en 1903.

Alvine et Joseph Genest, en 1903.

J’ai l’honneur de vous présenter mes grands-parents paternels, Joseph Genest et Alvina Frédénia Pelletier. Cette photo est celle de leur mariage le 15 mai 1903, en la paroisse de Saint-Sauveur. Leur histoire est très courte et somme toute, assez triste. Mariée à 29 ans, Alvina a donné naissance à six garçons. En 1913, elle est décédée d’une méningite, nous a-t-on dit, à l’âge de 39 ans. Joseph, un homme grand, fort et en santé, a succombé à la grippe espagnole en 1918; il était dans la quarantaine. Mon père n’avait pas quatre ans lors du décès de sa mère et à la mort de son père, il avait à peine huit ans. Donc, pas vraiment de souvenirs d’enfance en famille!

J’interroge parfois cette photo pour tenter de saisir qui étaient ces grands-parents dont la vie n’a été qu’un bref passage en ce monde. Les photographies de cette époque ne révélaient pas grand-chose des personnages qui devaient demeurer immobiles de longues minutes en attendant le déclic du photographe. Grand-Mère, comment te nommait-on? Alvina ou Frédénia? Je préfère Alvine… c’est moins cérémonieux que Frédénia. D’ailleurs, à ma naissance, on m’a donné le prénom d’Alvine en plus de celui de mon autre grand-mère Blanche, qui se trouve aussi être celui de ma marraine, Blanche Petit-Paris. J’ai été gâtée, vraiment!

La généalogie de la famille de mon père nous apprend que le premier Genest de notre lignée se nommait Géraud, il avait épousé en 1670 Marie Lacoste et, à leur arrivée en Nouvelle-France, ils venaient de Toulouse. Toulouse dans le Midi de la France, au pays du soleil! Pourquoi ont-ils choisi de s’expatrier? Et comment ont-ils pu demeurer en ce pays sauvage après y avoir passé un hiver? Ils étaient peut-être des gens remplis d’espoir en l’avenir ou bien ce qu’ils laissaient derrière eux étaient pire que ce qu’ils allaient connaître.

À la cinquième génération Genest, on fait connaissance avec Jacques, qui a épousé en 1800 Madeleine Chrétien; ils vont s’établir à Saint-Raymond. C’était dans les débuts de cette toute nouvelle paroisse. Jacques a eu trois enfants, tous établis à Saint-Raymond. Madeleine, mariée à Laurent Bédard en 1851, Joseph, marié à Caroline Gauvin en 1857 et Michel, mon arrière-grand-père, marié à Marie-Délima Gagné en 1864. Michel et Marie-Délima ont eu trois filles et deux fils : Edmond, mon grand-oncle, qui a vécu à Ottawa et Joseph, mon grand-père.

Parallèlement, à la même époque, on rencontre la famille d’Édouard Pelletier, également établie à Saint-Raymond. Edouard, marié en premières noces à Marie Morasse, a deux enfants, Lorenzo et Alvina Frédénia. On peut supposer que ces deux familles se connaissaient déjà puisqu’on les retrouve à Québec en 1903, alors que Joseph Genest épouse Alvina Frédénia Pelletier.

Rangée du haut: oncle Gérard Genest, tante Alice Paquet et oncle Léo Genest; rangée du bas: maman, papa et tante Alice Petit (1961).

Rangée du haut: oncle Gérard Genest, tante Alice Paquet et oncle Léo Genest; rangée du bas: maman, papa et tante Alice Petit (1961).

Quand on lit l’histoire de Saint-Raymond, on apprend qu’en 1899, un incendie a détruit une quarantaine de maisons. Serait-ce à la suite de cet incendie que les Genest tout comme les Pelletier ont décidé de déménager à Québec ? C’est fort possible. Papa nous disait qu’il était né « au pied de la Pente Douce », sur la rue Hermine. Après le décès de Joseph, les garçons ont été éparpillés. Le bébé, Gérard, a vécu aux États-Unis chez son tuteur l’oncle Lorenzo Pelletier jusqu’à l’adolescence. Georges a été élevé à Ottawa, chez l’oncle Edmond; il a fait carrière dans la Gendarmerie Royale du Canada et a épousé une anglophone du Nouveau Brunswick, avec qui il a eu un fils. Je ne sais pas grand-chose de Laurent, sauf qu’il ne s’est pas marié. Les parrains n’avaient pas tous la possibilité de s’occuper de leurs filleuls, aussi Léo, Julien et Maurice ont connu la vie dans les orphelinats. En dernier lieu, mon père a été à l’orphelinat de Saint-Césaire, où il avait appris le métier de jardinier. C’est également à cet endroit qu’il a rencontré le Frère André qui demeurait dans cette institution; papa a toujours eu une grande dévotion au Frère André. Au cours des années 1920, mon père et mes oncles sont arrivés à Deschambault pour travailler à la Ferme-École du gouvernement provincial. Maurice a épousé une jeune fille de Portneuf, Marguerite Couture, avec laquelle il a eu deux enfants. Marguerite décédée très tôt, Maurice s’est remarié avec Yvette Germain, qui travaillait à l’Hôtel Maple Leaf à Deschambault (actuellement le 398 chemin du Roy). Ils ont eu dix enfants. Léo a épousé tante Alice, sœur de maman; ils ont eu un fils, Michel, décédé tragiquement sur un bateau à l’âge de vingt ans. Julien a rencontré Jeanne, notre mère, et ils se sont épousés le 30 août 1932… Et c’est ainsi que commence mon histoire, celle de mes frères et de ma sœur, et la vôtre, chers enfants et petits-enfants! Une histoire avec beaucoup de points d’interrogation!

À bientôt pour la rencontre avec les familles Petit et Paquin.

© Madeleine Genest Bouillé, juillet 2015

Un voyage autour du monde… à Montréal!

IMG_20150705_0002C’était en 1967. L’année du centenaire de la Confédération. Sous le thème de Terre des Hommes, du 28 avril au 27 octobre, l’Exposition universelle de Montréal a accueilli plus de cinquante millions de visiteurs de tous les coins du globe. Soixante pays participaient à cet évènement pour lequel on avait créé de toutes pièces un site fabuleux, fait de terre et d’eau. J’ai en mémoire la chanson-thème composée par Stéphane Venne :

« Un jour, un jour, quand tu viendras

Nous t’en ferons voir de grands espaces

Un jour, un jour, quand tu viendras

Pour toi nous retiendrons le temps qui passe.

Nous te ferons la Fête

Dans une île inventée

Sortie de notre tête,

Toute aux couleurs de l’été. »

IMG_20150704_0002Dès les premières annonces de l’exposition, mon frère André et moi avions décidé de prendre un passeport afin d’aller visiter cet évènement unique. On offrait des passeports soit pour la saison, pour une semaine ou pour une journée. André naviguait encore à l’époque, il prévoyait donc prendre des vacances, ce qui était relativement facile, surtout pour un célibataire. De mon côté, j’attendais mon deuxième bébé pour mars… Pas de problème! Mon mari était d’accord pour me faire cadeau de ces vacances spéciales; pour le gardiennage et tout ce qui allait avec, on s’arrangerait! Mon deuxième petit garçon, né le 19 mars, était un bon bébé en santé. Je n’avais donc aucune inquiétude pour mes petits gars, qui étaient sous la garde de leur papa. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes! Nous avons donc pris nos passeports pour une semaine.

L'un des deux

L’un des deux « mini-rails », la Balade.

Nous avions choisi de faire notre voyage au cours de la semaine du 17 au 24 juillet. Il était entendu que nous allions demeurer chez notre grande sœur à Longueuil, car nous devions visiter l’exposition ensemble. Nous étions escortés des deux garçons de ma sœur, alors âgés de sept et neuf ans; comme ils n’en étaient pas à leur première visite, ils étaient déjà de très bons guides, sachant repérer les pavillons où il y avait une file moins longue. Nous avions fait le projet de visiter le plus grand nombre de pavillons chaque jour, même si pour certains endroits, il y avait une file d’attente de plusieurs heures. En plus des soixante pays exposants, il y avait plusieurs pavillons thématiques, tels L’Homme dans la Cité, L’Homme et la Mer, L’Homme à l’œuvre, L’Homme interroge l’univers. Les concepteurs du site avaient doublé la superficie de l’Île Sainte-Hélène et ajouté une toute nouvelle île, l’Île Notre-Dame. Pour faciliter les déplacements sur le site, il y avait deux mini-rails, le jaune et le bleu, la Balade et le Vaporetto, car plusieurs canaux reliaient les îles entre elles. Tout était nouveau; on passait d’un pays à l’autre en quelques minutes, il y avait des gens de partout. On entendait parler toutes les langues. Terre des Hommes, c’était un univers où tous les visiteurs se côtoyaient dans un même but : faire connaissance avec le Monde!

La pyramide inversée du Canada, Katimavik.

La pyramide inversée du Canada, Katimavik.

Pour l’édification des pavillons, on pouvait admirer toutes les formes d’architecture. Les États-Unis en mettaient plein la vue avec la grosse boule du concepteur Buckminster Fuller, qui était traversée par un mini-rail. Le Canada n’était pas en reste avec la pyramide inversée « Katimavik ». Le pavillon des Pâtes et Papier présentait une forêt stylisée de conifères. Certains pays offraient plutôt des constructions typiques comme le pavillon de l’Iran avec ses murs incrustés de mosaïque bleue, une merveille! La Thaïlande avec sa pagode dorée, nous transportait dans un autre monde. Pour l’originalité, j’ai retenu entre autres le pavillon des Provinces de l’Ouest qui avait la forme d’une souche géante.

Le pavillon de Trinidad et Tobago.

Le pavillon de Trinidad et Tobago.

Il y avait de la musique, aussi différente selon qu’on abordait un pavillon ou un autre. Par exemple, près de la bâtisse de Trinidad et Tobago, on pouvait entendre un « Steel Band » dans le plus pur style antillais. Ailleurs, une chorale chantait des airs tyroliens. C’était vraiment la Fête! Une fête comme on n’en avait jamais vue de semblable!

Il y a de cela quarante-huit ans! Si je vous dis que j’ai mangé ma première pizza et mon premier sous-marin à l’Expo 67, ça signifie que cette expérience est très lointaine, n’est-ce pas? Lointaine certes, mais inoubliable. C’était plus qu’une exposition, Montréal accueillait le Monde et le Monde découvrait Montréal, le Québec et le Canada. Vraiment, un de mes plus beaux souvenirs!

© Madeleine Genest Bouillé, 5 juillet 2015

Ma mère et les framboises

Ma mère, Jeanne, et moi (été 1959).

Ma mère, Jeanne, et moi (été 1959).

Que serait l’été sans les petits fruits? Les fraises, framboises, bleuets et mûres… ce sont des cadeaux du ciel. C’est délicieux, c’est beau et ça sent bon! L’odeur que je préfère est celle des framboises; c’est l’odeur même de l’été. Et surtout, ce petit fuit aussi succulent qu’odorant me rappelle ma mère.

Maman est née un 20 juillet, justement au temps des framboises, petit fruit qu’elle aimait par-dessus tout. Maintenant, on trouve sur le marché tous les fruits et légumes à l’année longue. À l’époque où ma mère a élevé sa famille, on cueillait les fruits chacun en son temps, les fraises fin juin ou début juillet, les framboises vers la fin de juillet et les bleuets et les mûres, plus ou moins tôt en août, dépendamment de la température. Il en allait de même pour les récoltes du potager. On cueillait d’abord laitue et radis, ensuite les fèves puis les concombres, ensuite venaient les tomates et les cerises de terre, ce drôle de fruit caché dans un petit sac. Plus tard, on récoltait les légumes racines : carottes, betteraves et enfin, les patates. Tout au long de l’été, nous regardions pousser le maïs, nous l’espérions ardemment… on avait tellement hâte d’en manger! Les étés moins chauds ou pluvieux, on devait parfois attendre les derniers jours du mois d’août pour cueillir enfin les premiers épis. Du maïs, du pain, du beurre, ça nous faisait un repas, et quel repas!

Maman n’était pas gourmande, mais elle avait tout de même ses préférences, dont les framboises. Ayant élevé dix enfants, elle avait l’habitude de se servir en dernier, surtout quand il s’agissait du dessert. Il y avait toujours un jeune affamé qui réclamait : « Je peux en avoir encore un peu maman? » C’était le cas quand un dessert était particulièrement apprécié; alors maman se privait en disant qu’elle n’avait plus faim. Les petits goinfres autour de la table ne s’apercevaient de rien! Nous ne portions pas attention au fait que maman finissait son repas avec seulement une tasse de thé.

Ma mère et mon père (été 1955).

Ma mère et mon père (été 1955).

Mis à part l’orange et la pomme des bas de Noël et plus tard, l’ananas et la noix de coco – ces fruits que papa nous apportait de Montréal pour Pâques et qui étaient pour nous le comble de l’exotisme, la façon la plus courante de consommer les fruits en hiver, c’était sous forme de confitures. Ainsi, quand nous allions cueillir des petits fruits, la plus grande part de notre cueillette était donc destinée à être mise en pots. Quand je regardais les pots de confitures et de marinades alignés dans la dépense, j’avais l’impression que c’était un peu du soleil de l’été que nous conservions ainsi… Encore aujourd’hui, ça me fait toujours le même effet! Avec les fruits tout frais cueillis, maman faisait aussi des tartes, même s’il fallait pour cela chauffer le poêle à bois par les jours de grande chaleur, mais cela en valait largement la peine. Les années où les récoltes étaient très abondantes, on se permettait quelques bols de fruits nature, avec du sucre et un peu de crème, qu’on prélevait sur le dessus de la pinte de lait, un pur délice! Évidemment, l’anniversaire de maman était l’occasion idéale pour savourer des framboises, d’une manière ou d’une autre. C’était une des rares gourmandises que nous lui connaissions. Et c’est ainsi que, dans mon souvenir, les framboises sont restées associées à ma mère.

Lors de notre 30e anniversaire de mariage à l'été 1994, deux ans avant que maman nous quitte...

Lors de notre 30e anniversaire de mariage à l’été 1994, deux ans avant que maman nous quitte…

Plus tard, après que la marmaille eut tour à tour, quitté la maison, le jour de la fête de maman, nous ne manquions pas de lui apporter un contenant de framboises qu’elle pouvait déguster à sa guise, sans se sentir obligée d’en laisser pour les autres. Quand on lui souhaitait « Bonne Fête » » avec des framboises à chaque 20 juillet, sa joie faisait tellement plaisir à voir! En 1996, elle était très affaiblie, son cœur trouvait qu’il avait assez travaillé. Elle était presque toujours alitée et ne mangeait que très peu, mais le jour de sa fête, quelqu’un lui a quand même apporté un petit contenant de ses fruits préférés. Elle avait tenu à se lever, pour recevoir sa famille et je la revois, toute menue, dans sa chaise près du poêle. Quand elle a reçu ses framboises, elle nous a offert son plus beau sourire, elle a goûté quelques fruits… et elle s’est recouchée après avoir salué chacun des membres de sa famille. Maman nous a quittés deux semaines plus tard, tout doucement, sans bruit… comme elle avait vécu.

© Madeleine Genest Bouillé, février 2015

Cet été je ferai un jardin

Papa qui joue au fermier... sur la faucheuse du voisin.

Papa qui joue au fermier… sur la faucheuse du voisin.

Avant d’aller plus loin, je dois vous avouer que je n’ai pas le pouce vert, alors là, pas du tout! Chez mes parents, c’était surtout mon père qui s’occupait du jardinage. Orphelin très jeune, il avait séjourné dans plusieurs institutions où, entre autres choses, il avait appris le métier de jardinier. Pour un enfant qui a manqué de « chez-soi », posséder un bout de terrain pour y faire pousser des légumes ou des fleurs, ça doit être encore plus significatif. Je crois que cela le rendait vraiment heureux. Plus tard, quand ses problèmes de santé l’ont rendu incapable de s’occuper du jardin, c’est un de mes frères, ayant hérité de ce talent, qui prit la relève. Parfois j’aidais ma mère à cueillir les laitues, radis, concombres et autres légumes ainsi que les fines herbes quand venait le temps de la récolte. C’est tellement bon les légumes qu’on ramasse chez soi!

Il y a une quarantaine d’années, nous avons emménagé dans la maison que nous occupons toujours. On pouvait encore distinguer les contours d’un ancien potager au fond de la cour et, visiblement, il y avait déjà eu des plates-bandes en avant et sur le côté est de la maison, comme l’attestaient quelques plantes vivaces, encore présentes et même envahissantes. Cela allait de soi qu’on restaure ces espaces afin d’y planter fleurs et légumes. Je n’y connaissais pas grand-chose, les enfants étaient trop jeunes, aussi ce travail fut tout naturellement dévolu à l’homme de la maison. N’allez pas croire que le jardinage me laisse indifférente, au contraire! De temps à autre, j’aime aller sarcler. Toutefois, j’attends que les plantes atteignent une certaine hauteur pour être sûre de les reconnaître et voici pourquoi. Un des premiers étés où nous habitions chez nous, voulant faire preuve de bonne volonté, j’avais consciencieusement arraché toutes les petites pousses de carottes, croyant que c’était des mauvaises herbes! Heureusement, il était assez tôt dans la saison et on avait pu semer d’autres graines, de sorte que nous avons récolté quand même des carottes, seulement un peu plus tard. Chaque printemps, je ne résiste pas non plus à l’envie d’acheter des petites enveloppes de graines de fleurs que la plupart du temps je ne connais même pas; du moment que ce sont des graines à semer en pleine terre, ça me va. Remplie d’espoir, je sème mes petites graines comme ça vient, sans trop de méthode, et je suis toujours agréablement surprise quand ça lève. Pour moi, c’est à chaque fois un miracle!

Le résultat de nos efforts!

Le résultat de nos efforts!

Comme le disent les paroles de la chanson : « Cet été je ferai un jardin, si tu veux rester avec moi… il sera petit. » Maintenant que nous sommes la plupart du temps seulement deux à la maison et que les articulations moins souples rendent le travail plus laborieux, c’est certain que le jardin a rapetissé. Malgré tout, à chaque printemps quand mon homme me demande si on fait un jardin cette année, je réponds : « Oui, mais un tout petit ! » Il manquerait quelque chose à mon été sans les couleurs et les odeurs des plates-bandes et du potager. Les résultats ne sont pas toujours aussi bons qu’on le désirerait. Mais qu’importe si les betteraves sont trop petites ou que les plants de tomates n’ont pas donné comme on l’aurait souhaité, et qu’importe si les fleurs de la plate-bande du côté ouest sont plus chétives que celles du côté est – particularité que je n’ai jamais comprise. En vérité, aucune satisfaction n’est comparable à celle que l’on ressent quand on récolte ce qu’on a semé. Un poète l’a dit beaucoup mieux que moi : « Sois satisfait des fleurs, des fruits et même des feuilles. Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles! »

Pour continuer avec la chanson de Clémence Desrochers : « C’est certain, j’en prendrai bien soin… » Oui il faut prendre soin de ce que la nature nous donne si généreusement; on doit y mettre du temps, du travail et de l’amour évidemment. Mais si je me souviens bien, c’est de saint Joseph qu’on tient cette dernière parole : « Seul est libre celui – ou celle – qui sait se servir de ses mains. »

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Ces chansons que mon père chantait

J’ai mentionné plus d’une fois le fait que mon père avait une très belle voix et qu’il chantait volontiers dans les réunions de famille ou tout simplement à la maison quand il en avait envie. Quand il travaillait à la Ferme-école de Deschambault, il faisait partie du chœur de chant à l’église, ce dont il était fier. Dans sa jeunesse, il avait étudié la guitare. Tout comme les plus jeunes de la famille, j’ai connu mon père alors que déjà il travaillait à Montréal et que nous le voyions seulement en visite et au cours de ses vacances. À cette époque, je ne me souviens pas de l’avoir vu jouer de la guitare. Par contre, à ma connaissance, nous avons toujours eu un piano sur lequel maman et ma grande sœur jouaient fréquemment. Plus tard, j’ai pianoté à mon tour, ainsi que l’avant-dernier de mes frères qui, parfois, nous accorde encore le plaisir de l’entendre chanter en s’accompagnant… plaisir trop rare! Nous étions très jeunes quand nous avons été entraînés à chanter dans les fêtes de famille. Je garde précieusement une cassette audio, copiée d’après un enregistrement sur ruban qui date des années cinquante. Le son est vraiment mauvais, mais c’est toujours avec une certaine émotion que j’entends la voix de mon père, celle de mes tantes, ainsi que nos voix enfantines qui chantent avec application les vieux Noëls. Sans doute est de ce temps-là que trois de mes frères et moi avons acquis le goût du chant choral.

Mon père chantait surtout des balades sentimentales, mais on lui demandait parfois un des chants patriotiques qu’on retrouve dans La Bonne Chanson. Il s’agit d’une des mélodies les plus difficiles à chanter que je connaisse; elle a pour titre : Les noms canadiens. Tout au long des cinq couplets défilent les noms des ancêtres d’une bonne partie des familles québécoises. À la fin du cinquième couplet, mon père devait être heureux d’y retrouver le patronyme de la famille de sa mère, qui s’appelait Alvine Frédénia Pelletier. Chaque fois qu’il chantait cette chanson, nous l’écoutions avec attention, nous demandant chaque fois comment il faisait pour ne pas se tromper dans tous ces noms; imaginez, chaque couplet en compte vingt-huit! Si vous avez les cahiers de La Bonne Chanson, cette chanson se trouve dans le premier cahier, à la page quatre.

Brise des nuitsParmi les mélodies que mon père chantait, celles dont je me souviens le plus et que j’affectionne particulièrement sont, tout d’abord, Serenata de Enrico Toselli, une très belle sérénade comme son nom l’indique : «Viens, le soir descend et l’heure est charmeuse… viens, toi si frileuse, la nuit déjà comme un manteau s’étend. » André Rieu en fait une magnifique interprétation au violon, avec un accompagnement de chants d’oiseaux. J’aimais bien aussi Vienne, ville d’amour, une jolie valse entraînante. Une autre chanson qui me ramène bien des années en arrière, c’est Brise des nuits. Les auteurs, P. Théolier pour les paroles et Alfred d’Hack pour la musique, me sont inconnus. J’ai souvent pensé que mon père chantait cette romance pour notre mère, à cause des paroles : « Celle que j’aimais si rieuse, a-t-elle gardé sa gaieté? Si tu la vois seule et pensive… Dis-lui que malgré les années, son nom ne s’est point effacé, de mon cœur où se sont fanées, toutes les roses du passé. Envole-toi vers cette femme, brise des nuits!… Avec mon cœur, avec mon âme, moi je te suis. » Papa était un romantique, alors quoi de mieux qu’une belle chanson pour exprimer ses sentiments!

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015