Les caprices de l’hiver

hiver-64-001Ma mère avait coutume de dire : « On tient pas le temps dans notre poche! » C’est là une vérité à laquelle on ne s’habitue jamais. C’est pourquoi on accorde foi à tous les pronostics, dictons et superstitions possibles, concernant les variations de la température. On aimerait tellement que le soleil brille aussi souvent qu’on le souhaite; et que la pluie ou la neige ne se manifestent qu’au moment précis où on en a besoin. Tout est bon pour étayer nos prévisions atmosphériques; le 3 fait le mois… si le 9 le défait pas! Il va faire froid cet hiver : les oignons ont la pelure épaisse. Il va neiger beaucoup : les nids de guêpes sont placés très haut. Quand le début de l’hiver est clément, on dit : les Avents commencent en mouton, ils vont finir en lion. Finalement Dame Nature déjoue toutes ces prédictions et n’en fait qu’à sa tête… en supposant qu’elle en ait une.

L’aventure dont je vous parle est arrivée en 1958 ou 59… Chose certaine, c’était vers le 15 décembre. La neige avait déjà atteint une bonne hauteur, car il en était tombé régulièrement depuis la fin de novembre. Habituellement, on allait couper les sapins vers la mi-décembre. Étant donné que le temps des Fêtes se prolongeait bien après le Jour de l’An, l’arbre de Noël devait rester vert au moins jusqu’à la mi-janvier.

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(Photo: Fernand Genest, coll. Madeleine Genest Bouillé).

Quand venait le temps de partir à la recherche des arbres de Noël, on y allait en famille! D’abord, c’était plus amusant et cela permettait d’apporter autant de sapins qu’il était nécessaire. Il faut dire qu’en ce temps-là, nos forêts nous paraissaient inépuisables. Et puis, il n’y avait pas de gaspillage : après les Fêtes, l’arbre dégarni deviendrait bois de chauffage!  Bien entendu, la cueillette des sapins dépendait aussi du nombre de personnes qui prenaient part à l’activité. Cette année-là, mon frère aîné Claude dirigeait l’expédition. Comme de raison, sa future épouse, Lorraine, était présente, mais je me rappelle surtout que ma tante Gisèle était de la partie. Tante Gisèle avait de l’énergie à revendre! Quand elle s’embarquait pour une aventure de ce genre, c’était du sport! Rien ne l’arrêtait, ni la neige, ni le froid! Pour nous rendre au bois, nous devions monter à travers champs jusqu’à la voie ferrée du Canadien National. À cette époque, je ne suis pas certaine que la petite gare était encore utilisée. Ensuite on grimpait la côte dite « du Grand Nord », et enfin, on se retrouvait à l’orée du bois.

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Hiver 1964, la rue Saint-Joseph (photo de Fernand Genest, coll. Madeleine Genest Bouillé).

J’ai écrit qu’il était tombé beaucoup de neige en ce début d’hiver. Ce jour-là, quand nous avions décidé d’aller chercher des arbres de Noël, nous ne pouvions certes pas évaluer l’épaisseur de la neige amoncelée. Mais une fois la décision prise, il aurait fallu une très grosse tempête pour nous empêcher de mettre notre projet à exécution. Le champ était comme une mer blanche où le vent avait dessiné des petites vagues dont nous devions enjamber les crêtes, aucune piste n’étant visible. Alors, évidemment, nous enfoncions dans la neige molle jusqu’aux genoux à chaque pas ou presque. Afin de nous rendre la marche plus aisée, mon frère, chaussé de raquettes, nous précédait avec le traîneau chargé des outils nécessaires pour couper les arbres. Il nous traçait ainsi un simulacre de sentier.  Enfin nous sommes arrivés à la gare, où nous nous sommes arrêtés, afin de nous reposer un peu. Même si nous ne pouvions pas entrer, sous le large auvent du toit, nous pouvions tout de même faire une pause à l’abri du vent. Il ne restait ensuite qu’à monter la côte, peu escarpée, et on atteignait enfin le bois. La neige étant moins épaisse, nous avancions plus facilement. Nous avons vite repéré les arbres qu’il nous fallait, pas trop gros, mais assez fournis. Nous n’étions pas difficiles; une fois rendus à la maison, si le sapin se révélait une épinette, ce n’était pas si grave. Une fois l’arbre décoré, on le trouvait toujours beau! Le bûcheron de service ayant terminé sa tâche, nous avons donc bien vite pris le chemin du retour.

Je dois dire que ce retour ne fut pas plus facile que l’aller, loin de là! Notre marche était ralentie du fait que nous devions traîner nos trois sapins, un pour tante Gisèle, un pour Lorraine et un pour chez nous. Le soleil baissait, il faisait plus froid et le vent qui nous faisait maintenant face n’était pas tendre pour nos visages, malgré les crémones dont nous étions entortillés et les tuques enfoncées jusqu’aux yeux. Pour se donner du courage, nous chantions des chants de Noël à tue-tête. Nous étions fatigués, alors un rien nous faisait rire. Ce qui reste le plus présent dans mon souvenir, c’est moins le froid, la neige et la longue marche, que justement ce plaisir fou que nous avions; un plaisir tout simple, comme il en arrive quand on ne le cherche même pas!

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Chez nous, dans la rue Johnson, 1959 (photo de Fernand Genest, coll. Madeleine Genest Bouillé).

La brunante était tombée… les fenêtres éclairées de la maison nous semblaient comme un phare qu’il nous tardait de rejoindre! Enfin rendus, débarrassés de nos vêtements enneigés, près du poêle à bois qui ronflait, comme il faisait bon alors de nous laisser envahir d’une douce torpeur! Heureusement, maman avait fait du thé, qu’elle tenait au chaud sur l’arrière du poêle. Ma mère avait des dictons et maximes pour une foule de choses, ainsi elle disait : « Faites pas bouillir le thé sinon les cavaliers viendront pas! »  Dans sa jeunesse, un amoureux ça s’appelait « un cavalier »! Je ne sais plus comment nous avons terminé cette journée… nul doute que nous n’avons pas dû veiller tard ce soir-là!

La moitié du mois de décembre était passée; avec toute la neige qui était tombée, nous étions convaincus que nous aurions un Noël blanc. C’était sans compter sur les caprices de l’hiver! Vers le 20 décembre, le temps s’est radouci, le ciel bas annonçait la pluie.  Nous espérions que ce ne serait qu’un redoux passager, mais non!  Effectivement, la pluie a commencé à tomber… une pluie fine, mais continue; on se serait cru au printemps! Il a plu ainsi presque sans arrêt pendant trois jours. Les enfants qui venaient d’entrer en vacances se désolaient; les traîneaux avaient l’air égarés près des galeries. Par terre, à côté de la maison, une carotte rabougrie et un vieux chapeau étaient les seuls témoins de ce qui avait été un bonhomme de neige! Les bandes de la patinoire entouraient un lac d’eau. C’était d’une tristesse!

Le 24 décembre, il n’y avait plus un brin de neige; elle était toute fondue! Le ciel était sans nuages… n’eut été de la température qui s’était refroidie, on aurait pu aller à la messe de Minuit en souliers. Mais, neige ou pas, c’était Noël! Au retour de la messe, dans les maisons décorées où flottaient les bonnes odeurs des mets préparés pour le réveillon, tout le monde a oublié la température dans la joie de la fête! Cette année-là, nous avions un sapin magnifique… à vrai dire, je suis presque sûre que c’était une épinette!

© Madeleine Genest Bouillé, 2012

(Texte tiré de Propos d’hiver et de Noël, 2012.)

La liste de cadeaux

Aimez-vous les échanges de cadeaux du temps des Fêtes? Pour ma part, j’aime bien ces échanges où chacun a pris le soin de choisir un présent pour l’offrir en cadeau à quelqu’un en particulier. C’est toujours un moment de plaisir, qu’on ne vit qu’une fois par année! Dans ma famille, au cours des premières années après mon mariage, nous nous offrions des cadeaux entre nous : frères, sœur, conjoints, et nous en offrions aussi aux neveux et nièces, à mesure qu’il en arrivait. Il faut dire qu’à cette époque, il y avait beaucoup de choix pour pas trop cher. D’ailleurs, ce n’était pas la valeur monétaire du cadeau qui comptait, c’était le plaisir de la surprise. Nous faisions aussi des cadeaux à nos filleuls et aux parrains et marraines de nos enfants… Ça n’en finissait plus! Vint un temps où la famille s’étant agrandie, il commençait à y avoir pas mal de monde et le coût des cadeaux augmentait évidemment. On ne trouvait plus grand-chose pour cinq dollars!  Quelqu’un a alors suggéré que chacun pige le nom d’un membre de la famille et qu’on fasse ainsi seulement un cadeau. Nous étions alors dans les années 70. Nous sommes donc devenus des adeptes de cette coutume. Tout naturellement, cette tradition s’est continuée chez nous, avec les conjoints et conjointes, dès qu’il y en eut.

IMG_20151205_0002Évidemment, un échange de cadeaux, ça implique tout d’abord que chacun, chacune, pige le nom d’une personne, dont le nom demeurera secret… enfin, je devrais dire « devrait demeurer secret »! Vous raconter les investigations pour réussir à savoir qui a pigé qui… il y en aurait pour plusieurs pages. Cela fait partie du jeu! Comme la liste de suggestions de cadeau est accrochée à la Maison-mère, c’est-à-dire chez nous, les participants viennent écrire leur choix de cadeaux et, le plus discrètement possible, consulter la liste pour connaître les désirs de la personne qu’ils ont pigée. La fameuse liste est généralement affichée en début de décembre; en même temps, l’enveloppe contenant tous les noms des participants est disponible. Nous sommes maintenant plusieurs adultes, incluant les aînées de nos petits-enfants, il devient alors difficile que tous soient présents pour faire la pige. Dommage, cela apportait une certaine solennité à la chose! Mais il faut ce qu’il faut. Les intéressés passent donc à tour de rôle prendre le précieux petit papier qui leur est destiné.

La liste des noms des participants s’étale sur plusieurs pages, de façon à laisser place pour plusieurs suggestions. C’est qu’on trouve de tout sur cette liste! Je vous donne un aperçu à partir de celles que j’ai conservées depuis 1995. On y retrouve, entre autres, « des VRAIS bas de VRAIE laine », « des grosses pantoufles-bibittes drôles », cet item est revenu au moins trois fois! Que diriez-vous d’un « parfum qui sent bon »? À quelques reprises, une participante a mentionné « des boucles d’oreilles discrètes »… à la condition que ce soit une femme qui l’ait pigée! Je suis perplexe quand je retrouve quatre fois « un coffret de thés, pas des tisanes ». Y aurait-il eu un manque de compréhension de la part des donateurs? Les demandes sont très variées, cela passe des « draps avec des moutons » aux « bibelots faits de matériaux insolites, aux couleurs insolites », en passant par « des caramels Kraft » et « des Chips Cape Cod »!

Parfois il faut attendre longtemps avant de recevoir le cadeau qu’on désire plus que tout. C’était certainement le cas pour le « marteau de porte » qui s’est retrouvé cinq fois sur la liste et le « couvre-volant en minou », tout autant! La persévérance mène à tout, et même à recevoir plus qu’on a demandé. Ainsi, la participante qui demandait en 1997 « un beau livre sur l’Écosse ou l’Irlande », a visité ces deux pays entre 2010 et 2012! Quelques années auparavant, elle avait mentionné qu’elle désirait « un gars beau, gentil, serviable, calme, drôle, poli… pas de moustache »!

On peut écrire n’importe quoi sur une liste de cadeaux. Un participant est passé de « une blonde » à « une rousse »… une autre année, c’était « une bonne job », puis « du temps et de l’argent ». Deux participants ont réclamé « un char ». Comme demandes bizarres, il y avait « du pipi de jument » et « un chameau ». La meilleure demande que j’ai trouvée et qui est revenue cinq ou six fois, c’est sans contredit : « la Paix aux hommes de bonne volonté! » Et finalement, pour ceux qui préfèrent vraiment les surprises : « Quelque chose qui n’est pas sur la liste ».

Nul besoin de vous dire que j’ai hâte de lire les suggestions de cadeaux qui ne devraient pas tarder à faire leur apparition sur la liste de cadeaux de 2015…

© Madeleine Genest Bouillé, décembre 2015