Trois quarts de siècle à Deschambault

Le Deschambault que j’ai connu, étant jeune, a bien changé; en 75 ans, c’est normal! Le village, avec ses maisons qui datent du XIXe siècle ou du début du XXe, a gardé son cachet ancien, même si on y a ouvert de nouvelles rues. Des maisons de différents styles ont été construites; des terres jadis cultivées ont été converties en développements domiciliaires. Plusieurs jeunes familles ont choisi de s’établir chez nous. Et c’est bien ainsi, ça veut dire que notre patelin est toujours vivant.

Je suis née le 28 novembre 1941, neuf jours avant l’attaque de Pearl Harbor, événement qui a fait beaucoup plus de bruit que ma naissance. Les dix enfants de la famille sont nés à la maison comme presque tous les enfants de ma génération. D’après ce que j’en sais, les quatre aînés seraient nés dans le logement à l’étage du 108 de la rue St-Joseph, qu’on appelait alors « la petite route ». Dans les dernières années de sa vie, Maman me parlait de cet appartement, le premier qu’elle et Papa ont habité; elle se rappelait comme c’était bien éclairé et quelle belle vue ils avaient sur le fleuve! De plus cet appartement avait l’avantage d’être situé près de la maison de ses parents. Elle ajoutait toutefois que le vent de nordet s’en donnait quand même à cœur joie en toutes saisons!

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(Coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Je n’ai jamais su la date exacte où l’on a déménagé dans la grande maison située au 249, sur le Chemin du Roy. À l’époque, cette demeure, qui était la propriété d’un M. Marcotte, était une maison moins spacieuse que maintenant, mais quand même d’une bonne grandeur, avec une belle lucarne double à l’étage. S’il y eut quatre naissances dans la maison de « la petite route », forcément, il y en eut six dans la maison en face de l’école. La partie arrière, carrée, à deux étages, logeait un couple âgé, sans enfant. Après quelques années, la dame est décédée après un assez long séjour à l’hôpital. Le monsieur vivait toujours dans son logement; c’était un personnage taciturne qui tolérait très mal les enfants, il ne se gênait pas non plus pour manifester son intolérance! Pas chanceux… chez nous, il y avait toujours au moins un petit au berceau. Comme chacun sait, des bébés ça pleure, et Maman était toujours inquiète dès qu’elle entendait vociférer le voisin.

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Mes parents, Julien et Jeanne, en 1942 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Cette contrainte mise à part, nous étions bien logés dans la maison au cœur du village. Nous avions une grande cour et un potager sur le côté ouest de la maison. En avant, deux érables apportaient leur ombre sur le petit parterre, où l’on jouait parfois sous le regard des adultes qui se berçaient sur la grande galerie. Les élargissements successifs du chemin du Roy ont fait disparaître beaucoup de ces parterres en façade qui ornaient les belles demeures du village. Quand nous habitions cette maison, les rues de la Salle, Gauthier et Notre-Dame n’existaient pas encore. Le terrain à l’arrière de la maison de M. J.B.H. Gauthier – aujourd’hui le restaurant Chez-Moi – ainsi que toute cette partie du Cap Lauzon appartenaient à M, Gauthier, lequel a été maire de 1947 à 1956. Ce terrain s’étendait jusque derrière le garage des Autobus Gauthier – aujourd’hui la caserne des pompiers. Donc, derrière chez nous, il y avait un champ où paissaient quelques vaches. Ce champ se terminait par un boisé jusqu’au bout du cap. Durant la belle saison, on allait y cueillir des framboises et des mûres. Le développement domiciliaire de Monsieur Gauthier – qu’on a surnommé « la Butte aux moineaux » – n’a été érigé qu’au début des années 50. Aujourd’hui, cet endroit habité par plusieurs jeunes familles devrait plutôt s’appeler « la Butte Joyeuse »!

Le milieu du village était très animé. La Banque Canadienne Nationale logeait dans la maison du notaire au coin de la rue de l’Église, tandis que la Caisse Populaire, fondée en 1944, occupait un espace chez le barbier, M. Marcel Rhéaume (aujourd’hui le funérarium). Auparavant, cette maison appartenait à M. Oscar Bouillé, qui y tenait le Bureau de Poste. Plus tard, le bureau de Poste a été transféré chez M. Léopold Dussault, à côté de l’école. L’épouse de M. Dussault, Joséphine Petit, une cousine de ma mère, occupait la fonction de maîtresse de Poste. M. Dussault était électricien de son métier, il possédait au rez-de-chaussée de sa vaste demeure, un magasin où sa sœur, Mademoiselle Angela tenait une petite boutique de cadeaux. Nous demeurions donc en face de l’école et près des magasins, de l’église et du couvent, ainsi que de la « petite route » où demeuraient nos grands-parents.

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(Source: Centre d’archives régional de Portneuf).

Comme bien des résidents de la campagne, nous n’avions pas d’auto. Du temps où mon père travaillait à la Ferme du Gouvernement provincial, en été il prenait son vélo et l’hiver, je suppose qu’il voyageait avec l’un ou l’autre compagnon de travail. J’ignore en quelle année il est parti chercher du travail à l’extérieur. Dans l’album de famille, une petite photo représente mon père en vêtements de travail; on m’a dit qu’il était alors à l’Île Bizard. Dans les années 40, il a commencé à travailler dans une usine à Montréal; au début on y fabriquait du matériel de guerre et plus tard, des pièces de locomotives. Il « chambrait » selon l’expression en usage à l’époque, à Montréal, pas loin de son travail. Il était devenu un père absent. Il écrivait régulièrement à notre mère et ne manquait jamais de nous envoyer une belle lettre pour notre anniversaire ainsi que pour tous les événements importants auxquels il ne pouvait pas assister : Première communion, Confirmation, etc. Quand nous vivions au village, nous n’avions pas le téléphone, donc la poste était le principal moyen de communication.  Pour mes parents, il était normal de se parler par lettres… tous les deux avaient la « plume facile », ils se comprenaient bien ainsi. C’est difficile à croire aujourd’hui mais pour eux, à cette époque, c’était acceptable.

Je vous reviens pour la suite de ces 75 ans…

© Madeleine Genest Bouillé, 30 décembre 2016

Une réflexion sur “Trois quarts de siècle à Deschambault

  1. Que c’est intéressant Madeleine!
    Je ne savais pas que tes parents avaient habité sur ¨ la petite route ¨…
    J’ai déjà hâte de lire la suite de ces 75 ans, à bientôt.

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