Deux phares, une île

Le plus vieux des deux phares, en 1970 (photo: Fernand Genest).

Le plus vieux des deux phares, en 1970 (photo: Fernand Genest).

L’îlot Richelieu, situé dans le fleuve du côté sud du chenal des bateaux, a été pendant je ne sais combien d’années un lieu unique pour les jeunes de Deschambault en quête d’aventure! Pour les habitants de Lotbinière, l’île est facilement accessible à marée basse. Mais pour les gens d’ici, il y a le chenal à traverser et, à cet endroit, on est en plein dans le fort courant du Rapide Richelieu, ce qui rend le périple plus difficile.

L’histoire commence avec un écueil d’importance qu’on appelle la « Barre à Boulard », du nom d’un des premiers Arcand de Deschambault, qui s’appelait Arcand dit Boulard et dont la terre était située vis-à-vis cet endroit (actuellement la halte routière). Avant le creusage du chenal, la Barre à Boulard était un immense banc de pierre d’environ 1 800 pieds, qui traversait le fleuve du nord au sud. Monsieur Alexis Gauthier, ancien pilote de Deschambault, qui connaissait le fleuve comme le fond de sa poche, avait expliqué cette particularité dans le bulletin Le Phare en 1988. Il disait ceci : « Le Saint-Laurent n’était pas facile… autrefois, sur la Barre à Boulard, il y avait 27 pieds d’eau à marée basse, passé cet endroit, il y en avait 75. Et plus bas, on arrivait au « trou de Portneuf », qui lui, en avait 160. Nous avions des points de repère. En descendant le fleuve, quand on arrivait juste vis-à-vis la route à Bouillé, on commençait la Barre à Boulard. Et quand la statue de Saint Louis sur l’église de Lotbinière montrait son dos entre les deux clochers, on la terminait. » Les pilotes du Saint-Laurent connaissent tous cette partie du fleuve qu’on nomme le Rapide du Richelieu.

Il était difficile de naviguer dans le fleuve à cet endroit, donc à l’époque où on érigeait des phares, le site de l’îlot Richelieu, sur lequel Champlain avait déjà construit un fort en 1633, était l’endroit tout désigné pour recevoir une « lumière », pour parler le langage des anciens. Plus tard, le vieux phare de l’îlot Richelieu cessa d’être fonctionnel lorsqu’on construisit vers 1870, un de ces phares en bois comme on en voit tout au long du fleuve. On le trouvait majestueux, notre beau phare rouge et blanc!

Intérieur du phare de l'îlot, en 1963

Intérieur du phare de l’îlot, en 1963

Ma mère racontait que, dans sa jeunesse, il arrivait fréquemment que des jeunes gens traversent en canot jusqu’à la petite île, au gré des vents et des marées, évidemment. Plus tard, mes frères et leurs amis ont tous maintes fois effectué cette traversée jusqu’à « l’îlette », comme on disait alors. Moi-même, j’y suis allée une fois dans les années cinquante, avec un de mes grands frères. Nous pouvions entrer dans le phare, la porte n’étant pas verrouillée, et un premier escalier nous menait au deuxième étage. Ensuite, un autre plus étroit conduisait jusqu’à la tourelle. N’aimant pas particulièrement les hauteurs, je me suis contentée de monter au deuxième. L’intérieur était encore intact, les murs peints en vert pâle; aucun meuble ne subsistait. Je ne suis pas restée longtemps dans le phare… peut-être suis-je trop impressionnable, mais je n’étais pas à l’aise dans cet espace restreint, froid et désert.

Au cours de sa longue vie, le phare de l’îlot a connu des drames, tout d’abord, «…  en 1834, il a été pillé et son gardien, le capitaine Sivrac, après avoir été roué de coups, a été jeté dans la cave du phare » (Cambray et ses complices, F.-Réal Angers, 1837). Quant aux derniers occupants, un Lemay et son épouse, ils se sont noyés en 1949 dans des circonstances qui sont restées nébuleuses.

Le phare "rouge et blanc", en 1970 (photo: Fernand Genest).

Le phare « rouge et blanc », en 1970 (photo: Fernand Genest).

L’îlot Richelieu est désormais bien tranquille… Le phare a été détruit le 18 février 1971; les éléments naturels, tout autant que les multiples creusages du chenal, ont érodé les berges de l’île. À quelques encablures de là, le beau phare rouge et blanc a pour sa part été ravagé par un incendie en 1974. Sur l’île, il n’y a maintenant plus aucune trace du petit phare en pierres… et à côté, une tour tronquée, sans grâce, rappelle tristement l’élégant phare qui a jadis guidé les marins navigant dans les eaux capricieuses du Saint-Laurent.

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Les deux phares, dans un état pitoyable, autour de 1975 (photo: Fernand Genest).

Les deux phares, dans un état pitoyable, autour de 1975 (photo: Fernand Genest).

3 réflexions sur “Deux phares, une île

  1. J’habite Lotbinière et je connais bien cet endroit que je fréquente encore souvent l’été. Facilement accessible à pied à marée basse j’y ai souvent séjourné dans ma jeunesse. C’était notre ile mystérieuse. Nous utilisions le vieux phare comme un fort. J’ai quelques photos de cette époque ( années 50 et 60)

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